Introduction
Choix et intérêt du sujet
J’ai
été très attiré par le thème du «Royaume de Dieu» dès les premières années de
ma formation, continuant à lire et à réfléchir sur ce sujet au cours des années.
Sujet qui continue à influencer toute ma vie. J'ai la conviction forte qu’en
tant que disciple de Jésus, c'est ma mission de travailler à l’avènement de ce
royaume, qu’ont annoncé Jésus et ses apôtres. C'est le message global de la
Bible. J’ai pensé que c’était le bon moment pour moi d'approfondir ce concept
sous la forme de mon mémoire.
Cela
m'a amené à lire les quatre évangiles attentivement. Au cours de ces
recherches, je me suis posé des questions de base comme : Quelle est la nature
du royaume de Dieu ? Est-ce que le royaume de Dieu diffère du royaume des cieux
? Est-il déjà arrivé ? Si non, quand doit-il venir ? Qu'est-ce que le Christ
enseigne sur le royaume ?
Ces
recherches m’ont conduit à l'évangile de Matthieu et ont créé en moi un intérêt
pour étudier la notion de royaume de Dieu telle qu’il l’expose. J'ai découvert
que c’était le thème central de son évangile. Une analyse de la structure de
Matthieu m'a aidé à me concentrer sur le chapitre 13 où il parle du mystère du
royaume en paraboles.
Après
avoir lu et compris comment ce thème est traité dans le chapitre 13, j'ai
trouvé que la parabole de l'ivraie parmi le blé (Matthieu 13, 24-30, 36-43) était
appropriée à mon mémoire. Je pense que cette parabole et son explication par
Matthieu proposent un texte idéal pour examiner le concept du Royaume des cieux
selon Matthieu.
La question
L'objectif
de ce mémoire était donc de comprendre la théologie du royaume des cieux selon
Matthieu. Par conséquent, les questions spécifiques que j’ai voulu poser et
découvrir à travers de cette mémoire sont :
Quel est le royaume des
cieux selon Matthieu ? Comment est-il présenté dans la parabole de l'ivraie et
son interprétation ? Quelle est sa nature ? Quelle théologie du royaume est
enseignée à travers la parabole et son interprétation ?
Approche méthodologique:
de l’analyse narrative (définition, objectif et outils sélectionnés)
Ayant
lu des textes de James L. Resseguie, Mark Allan Powell, et Bourquin-Marguerat[1],
j'ai décidé de choisir l'analyse narrative comme méthodologie pour l'analyse de
la parabole et son explication. Les éléments suivants sont la définition, les
objectifs et les outils de l'analyse narrative utilisés dans ce mémoire.
L’analyse
narrative est une méthode exégétique qui s’intéresse à la manière dont la littérature biblique fonctionne comme
littérature. Cette analyse examine le contenu, la rhétorique et la structure de
la péricope comme un tout organique. Elle examine les qualités qui la rendent
littéraire.
1.
L’analyse narrative considère le texte
comme un tout. Plutôt que de diviser le texte en parties, cette méthode voit la
péricope comme une unité et observe les liens qui font du récit, un tout unifié.
2.
L’analyse narrative examine la complexité et les nuances du texte. Elle
s’intéresse à la structure, aux stratégies rhétoriques, au développement du
caractère, des images, des paramètres et des points de vue.
3.
L’analyse narrative souligne l'effet du narrateur sur le lecteur. Elle étudie
les stratégies de l'auteur implicite pour changer le point de vue du lecteur
implicite. L'étude montre comment le narrateur persuade et change le point de
vue du lecteur.
Les
procédés rhétoriques
La
rhétorique est l'art de la persuasion. Elle est une partie intégrante et
indispensable d'un discours. C'est un moyen par lequel l'auteur nous persuade
de son point de vue idéologique, des normes et valeurs auxquelles il croit. Le
but de cet outil est de comprendre comment Matthieu persuade son lecteur
implicite par la parabole et son explication. L'analyse comprend l'étude de la répétition
des mots clés, des actions, des tendances, des parallélismes, des fils verbaux
et des symboles de la parabole et de son interprétation. Cette analyse doit aider
à comprendre la structure et le thème du texte.
Le cadre
Le
cadre est le fond où a lieu l'action narrative[2].
Ce peut être l'environnement physique, socio-culturel, temporel ou religieux. Il
peut être géographique, topographique, religieux ou architectural. Il peut être
social ou culturel, temporel ou spatial. Cet outil doit me permettre d’analyser
les paramètres géographiques et topographiques du texte. Il étudie
attentivement les contextes sociaux, culturels et politiques de la parabole.
Cette analyse doit m'aider à comprendre la situation dans le texte. Parmi les
cadres temporels, j’analyserai les analepses,
prolepses, prolepses mixtes et prolepses externes.
La caractérisation
Les
personnages sont les dramatis personae,
la liste des personnes dans l'histoire[3].
Les personnages se révèlent à travers leurs discours (ce qu'ils disent et
comment ils le disent), leurs actions (ce qu'ils font), leurs vêtements (ce
qu'ils portent), leurs gestes et postures (comment ils se présentent). Ils sont
connus par ce que les autres disent à leur sujet. Egalement par l'environnement
et le cadre dans lequel ils travaillent et évoluent. Enfin par leur position
dans la société. Cet outil doit me permettre d’analyser les personnages, leurs
paroles et actions. La parabole comprend un grand nombre de caractères. Une
étude approfondie doit m'aider à comprendre leur point de vue et leur message.
Le point de vue
Le
point de vue « signifie la façon dont une histoire est racontée »[4].
Les actions des personnages, leurs dialogues, leur rhétorique et le cadre sont
présentés à travers le point de vue du narrateur. Cet outil aide à comprendre
comment l'auteur communique son point de vue au lecteur. Il va m’aider à
comprendre comment Matthieu change les normes, les croyances et les valeurs du
lecteur dans son discours.
L’intrigue
Une
bonne compréhension de l'intrigue est importante pour déterminer la structure,
l'unité et le sens de la narration. C'est le principe de conception qui
contribue à notre compréhension de la signification du récit. L'intrigue est la
séquence des événements ou incidents qui font un récit, apportent des
changements dans le récit. Les actes d'un personnage sont ses actions
physiques, de parole, ses pensées, sentiments, perceptions. Telles sont les
cinq étapes de mon analyse du texte : 1.
la situation initiale, 2. la complication (appelée aussi élément perturbateur
ou nœud), 3. l’action transformatrice, 4. le dénouement, 5. la situation
finale. Cette étude doit m'aider à entrer dans les minutes du texte.
Le lecteur
Cette
étape de l'évaluation est basée sur l’idée que tout récit s'adresse à un
lecteur implicite et que l’auteur implicite compte sur la coopération active de
ce lecteur. Cet outil est utilisé pour envisager ce lecteur implicite. Il
étudie également le nouveau point de vue que le narrateur souhaite pour son lecteur.
Partie 1
Analyse narrative et contexte de la parabole de
l'ivraie (13,24-30) suivi de son explication[1]
(36-43)
L'objectif
de ce chapitre est de faire une analyse narrative de la parabole (Mt 13, 24 -30)
et son explication (36-43). Avant de procéder à l'analyse narrative, je
voudrais expliquer le contexte dans lequel Jésus a utilisé cette parabole. Pour
faire cela, je vais étudier la structure de l'Évangile de Matthieu et la place
du chapitre 13 dans l'Evangile. Deuxièmement, une étude du chapitre 13 sera
faite pour comprendre sa structure et son contexte immédiat.
La structure de l'Évangile de Matthieu
Selon
B. W. Bacon, Matthieu a divisé son évangile en cinq blocs indépendants, qui peuvent
être considérés comme cinq livres comme le Pentateuque[2].
Son idée se fonde sur deux phénomènes. Le premier est que le discours de Jésus
est conclu cinq fois par une formule (Καὶ ἐγένετο ὅτε ἐτέλεσεν en 7,28; 11,1;
13,53; 19,1; 26,1); selon Bacon, cette formule introduit une césure profonde
dans le texte. Le second phénomène est que chaque discours (D) est précédé par
une section d'introduction narrative (N). Au total, ce modèle (N + D) se reproduit
cinq fois, alors que l’évangile de Matthieu est composé de cinq livres, dont le
premier commence en 3, 1 et le dernier se termine en 25, 46. Ces cinq livres sont
encadrés par un préambule (Matt 1-2) et un épilogue (Matt 26-28). Voici donc la
façon dont Bacon a divisé l'Evangile de Matthieu[3] :
Préambule
1,1-2,23
Livre
1 03,1-4,25 (N) et 5,1-7,27
(D); formule: 7,28-29
Livre
2 08,1-9,35 (N) et 9,36-10,42
(D); formule: 11,1
Livre
3 11,2-12,50 (N) et 13,1-52
(D); formule: 13,53
Livre
4 13,54-17,20 (N) et
17,22-18,35 (D); formule: 19,1a
Livre
5 19,1b-22, 46 (N) et
23,1-25,46 (D); formule: 26,1
Epilogue 26,3-28,20
Le
point de vue selon lequel l'évangile de Matthieu est composé de cinq livres a
été soutenu par les analyses littéraires de C. R. Smith[4].
Ses deux principaux arguments sont les suivants: 1. l'Evangile de Matthieu
alterne entre récits et discours, et 2. chaque récit introduit un thème dont le
discours suivant expose la suite. L'Evangile présente cinq couples consécutifs de
discours narratifs, dans chacun desquels un thème relatif au Royaume est en
cours d'élaboration.
L'introduction
|
généalogie
(1,1-17)
|
|
Les
fondations du royaume
|
1er
narratif
(1,18-4,25)
|
premier
discours
(5,1-7,29)
|
La
mission du royaume
|
deuxième narratif
(8,1-9,38)
|
deuxième
discours
(10,1-42)
|
Le
mystère du royaume
|
troisième
narratif
(11,1-13,9)
|
troisième
discours
(13,10-53)
|
La
famille du royaume
|
quatrième
narratif
(13,54-17,27)
|
quatrième
discours
(18,1-35)
|
Le
destin du royaume
|
cinquième narratif
(19,1-23,39)
|
cinquième
discours
(24,1-25,46)
|
Conclusion
|
récit
de la Passion
(26,1-28,20)
|
|
De
ces deux analyses de la structure de l'Évangile de Matthieu, il ressort clairement
qu’au chapitre 13, le troisième discours de Jésus, est le centre de l'évangile
de Matthieu. Selon Kingsbury, l'opposition contre Jésus atteint son point
culminant ici dans le chapitre 13, et Jésus réserve l'explication de la
parabole à ses disciples-qui représentent l'église[5].
A la suite des analyses de C.R. Smith, il est clair que le mystère du royaume
se révèle sous la forme de paraboles dont l’explication est donnée aux
disciples. Dans tous les cas, le chapitre 13 joue un rôle important dans
l'évangile de Matthieu.
- La structure de
Matthieu 13
Selon
Kingsbury, le chapitre 13 peut être divisé en deux sections principales: vv.1-35
et 36-52[6].
Il identifie la structure du chapitre sur la base de deux publics différents et
de deux scènes différentes : la première partie destinée à la foule au bord de
la mer (1-35) et la deuxième partie à ses disciples dans la maison (36-52). Au
v. 36, on peut identifier une transition claire, celle où Jésus quitta la foule et entra dans la maison. Il y a un contraste évident
entre les vv. 2-3 (Et des foules
nombreuses s'assemblèrent auprès de lui, si bien qu'il monta dans une barque et
s'assit ; et toute la foule se tenait sur le rivage.) et : (Et il leur parla de beaucoup de
choses en paraboles) qui vise l'enseignement privé de Jésus à ses
disciples. Il existe aussi des similitudes dans les deux sections: chacune a
son cadre respectif (vv.1-3a, 36a); et dans
chacune, il y a une discussion détaillée. (v v. 10-23, 36b-43); dans la
première section, il y a quatre paraboles (semeur, mauvaises herbes, graines de
moutarde, levain), dans la deuxième, il y en a trois (trésor caché, la perle,
net) et chaque section a une conclusion.
Le contexte de Matthieu 13
Afin
de marquer les divisions de son évangile, Matthieu utilise certaines formules comme
par exemple celle qui intervient à la fois en 11,1 et en 13,53 : ….quand Jésus eut achevé ces[7]…….
En analysant cette formule, nous pouvons identifier le contexte immédiat et le
sujet traité dans le chapitre 13.
La
première division
Le
thème central de cette partie est le rejet de Jésus. La division 11, 2-13, 13, 53
se compose de deux grandes parties, la première se terminant au chapitre 12. Le
thème principal de cette partie est l'opposition contre Jésus qui s’intensifie.
La
première partie de cette section porte sur le doute de Jean-Baptiste concernant
Jésus comme le «Messie» (11, 2-6) avec la réponse de Jésus : Allez rapporter à Jean ce que vous entendez
et voyez. A l’époque de Matthieu, cela aurait pu être un problème pour les
chrétiens de son Église[8].
L’insensibilité
des habitants des villes de Chorazeïn, Bethsaïde et Capharnaüm (11,20-24) a mis
Jésus en colère. Après avoir vu les miracles de Jésus, ces villes ne se sont pas
repenties, s’exposant à un jugement pire que Tyr, Sidon et même Sodome
(Matthieu 11,22 - 24).
Sans
doute que l'indication la plus claire d'Israël rejetant Jésus comme Messie concerne
l’accusation selon laquelle il chasserait les démons par la puissance satanique. Jésus
répond en disant qu'ils ont blasphémé le Saint-Esprit et de ce fait commis un
péché impardonnable (Mt 12, 24-32).
Dans
la péricope finale des chapitres 11-12, le thème du rejet de Jésus par les Juifs
est précisé en se concentrant sur la vraie famille de Jésus (12, 46-30). Au
milieu de la foule, Jésus définit sa famille comme ses "disciples" -
l'église, qui fait la volonté du Père des cieux. Avec cette conclusion, Jésus
entre dans la deuxième partie de la division - Chapitre 13.
La deuxième division
Dans
la première partie du chapitre 13, (1-35), Jésus s'adresse à la foule. Dans les
chapitres précédents (11-12), il a été dépeint, en conflit avec les différents groupes
de la nation juive. Maintenant, il s'adresse aux foules-les foules juives incroyantes. Il leur reproche avec véhémence
d'être aveugles, sourdes et fermées à son message de salut[9].
Il
est étrange que Jésus arrête brusquement son discours à la foule et concentre
son attention sur ses disciples (36-54). Dans les chapitres 11-12, Jésus est
rejeté par les Juifs, en 13,1-35 il parle contre les Juifs qui ne font pas la
volonté de Dieu. Cela étant fait, en 36-52, Jésus concentre toute son attention
sur ses disciples qui représentent l'Eglise[10]
- Il leur enseigne la volonté de Dieu. Nous pouvons donc conclure que les deux
divisions lient les chapitres 11-12 avec l'apologie en 13, 1-35 et le discours
avec les disciples 36-52.
Analyse narrative
La parabole de l'ivraie (Mt 13,24-30)
La
parabole de l'ivraie et son explication (Mt13, 24-30, 36-43) va être examinée à
travers les procédés rhétoriques,
analysant le cadre, les aspects de la caractérisation, le point de vue, les
aspects de l'intrigue et des lecteurs. Cette étude va permettre d'identifier
les parties qui contribuent au tout.
1.
Les procédés rhétoriques
Analyse lexicale
Pour
convaincre et attirer l'attention de ses lecteurs, Matthieu répète beaucoup de
mots et d’actions clés dans la parabole de l'ivraie. Les éléments suivants sont
la liste des répétitions de mots dans le texte :
Semé/
semant σπείρω
|
3
|
Bon
grain et blé
καλὸν
σπέρμα et σῖτος
|
2+5
|
L’ivraie
ζιζάνιον
|
5
|
Ramasser
συλλέγω
|
3
|
Moisson
et moissonneur
θερισμός et θερισταῖς
|
3
|
Semé/ semant σπείρω
A
partir de la répétition du mot, il est clair que le récit porte sur le semis et
que le problème rencontré est la croissance du blé. L'auteur utilise trois fois
le verbe - semé/ semant (σπείρω).
- un homme qui a semé du bon grain dans son champ. (v. 24)
- son ennemi est venu, il a semé à son tour de l'ivraie (v. 25)
- Maître, n'est-ce pas du bon grain
que tu as semé dans ton champ ?
(v. 27)
La
première référence vise la semence du bon blé par un homme, probablement le
propriétaire. La deuxième est l'action de l'ennemi qui sème aussi l'ivraie. La
troisième pose une question douteuse de la part des serviteurs. En utilisant
trois fois le verbe «semer», l'auteur indique clairement que le problème est dans
le champ, et que ce problème est celui de l'existence de l'ivraie parmi le blé,
avec la confirmation par les serviteurs.
Bon grain (καλὸν
σπέρμα) et blé (σῖτος )
L'auteur
utilise deux fois le mot – bon grain
et cinq fois le mot le blé. Le mot
blé est le mot le plus utilisé dans le texte, ce qui montre son importance.
- d'un homme qui a semé du bon grain dans son champ (v.24)
- il a semé à son tour de l'ivraie,
au beau milieu du blé (v.25)
- Quand le blé est monté en herbe (v.26)
- Maître, n'est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton
champ ? (v. 27)
- d'arracher en même temps le blé (v.29)
- quant au blé, recueillez-le
dans mon grenier."(v.30)
En
insistant sur « bon grain», l'auteur prépare la surprise qui suit et en répétant
cinq fois le mot blé, l'auteur montre que le blé est le centre du texte. Il veut
montrer l'existence du blé au milieu d’ivraie. Il montre aussi ce qui se
passera à la fin.
L’ivraie (ζιζάνιον)
Il
donne une importance égale au mot- l’ivraie.
En l’utilisant à cinq reprises, il montre la réalité de l'existence de l’ivraie
parmi le blé.
- …..ennemi est venu, il a semé à son
tour de l'ivraie (v. 25)
- Quand le blé est monté en herbe,
puis en épis, alors l'ivraie est
apparue aussi (v. 26)
- D'où vient donc qu'il s'y trouve de
l'ivraie ? (v. 27)
- …..en ramassant l'ivraie, d'arracher en même temps le
blé (v. 29)
- Ramassez d'abord l'ivraie et liez-la en bottes que
l'on fera brûler (v. 30)
L'auteur
montre l'identification de l’ivraie par les serviteurs, l'interprétation par le
maître de l'acte de semer l’ivraie, permettant à l’ivraie de croître jusqu'à la
moisson, et enfin, la collecte et le brûlage. L'auteur montre l'existence de
l'ivraie parmi le blé jusqu'à la moisson et à la fin - sa destruction.
Ramasser (συλλέγω)
Le
verbe ramasser a un rôle important
dans le texte. L'auteur l’utilise trois fois.
- Veux-tu donc que nous allions la ramasser ? (v. 28)
- … vous risqueriez, en ramassant l'ivraie, d'arracher en
même temps le blé. (v. 29)
- Ramassez
d'abord l'ivraie et liez-la en bottes que l'on fera brûler (v. 30)
L'auteur
n’utilise le verbe qu’en lien avec l’ivraie. D'abord avec la question des serviteurs
concernant le fait de ramasser
l’ivraie. Deuxièmement avec la remarque du maître évoquant le danger d’empêcher
le blé d’aller jusqu'à la moisson. Le dernier emploi enfin vise le fait de
ramasser l’ivraie pour la brûler.
Moisson (θερισμός) et moissonneur (θερισταῖς)
L'auteur
utilise deux fois le mot - moisson,
une fois pour les gens qui font la moisson – moissonneurs. Laissez l'un et l'autre croître ensemble
jusqu'à la moisson ; et au moment de la moisson je dirai aux moissonneurs :
Ramassez d'abord l'ivraie et liez-la en bottes que l'on fera brûler (v.
30). Il est intéressant de noter que
même s’il a des serviteurs, il ne leur attribue pas le fait de semer. Et le
travail de ramasser l’ivraie et de la
brûler est donné aux moissonneurs.
Reprise thématique (Fil verbal)
Il leur proposa une
autre parabole…….......... l'expression relie la parabole de
l'ivraie à la parabole du semeur. Le thème traité dans le chapitre 13 est le
royaume des cieux. A plusieurs égards, la parabole de l'ivraie traite des mêmes
thèmes déjà traités en 13,1-23. Certains motifs -semis, les graines, le sol, le
royaume, les obstacles à la croissance, le diable ou malin-sont répétés. Les
deux paraboles visent à éclairer le problème du mal, qui est l'échec de
l'Evangile à gagner le cœur de tous. Elles traitent le même problème du rejet
du Messie et de l'incrédulité face à Jésus[11].
Et elles concluent ensemble que la victoire du Royaume de Dieu est sûre.
Parallélisme
L'auteur
compare l'ensemble de la situation dans la parabole avec celle du Royaume. Le Ὡμοιώθη passif aoriste indique
"que le Royaume des Cieux ... est une réalité présente et a déjà une
certaine histoire derrière lui[12].
La parabole raconte le semis de l'ivraie par l'ennemi avec la présence des
serviteurs censés veiller le blé. Nous voyons dans le maître, un homme
d'expérience et sage, qui permet la croissance de l'ivraie avec le blé jusqu'à
la moisson. Le jour de la récolte, l'ivraie sera recueillie et brûlée. Même si
Jésus donne l’explication de la parabole plus tard dans le même chapitre, la
comparaison de la personne qui sème la bonne semence avec ce qui se passe dans
le Royaume veut montrer l'existence du Royaume au milieu du mal.
La portée symbolique des
images
Beaucoup
de mots dans la parabole ont un thème symbolique. Puisque la parabole commence
par comparer une personne qui sème la bonne semence dans un champ avec la
réalité du royaume des cieux, les mots identifiés comme des symboles veulent
créer des images profondes dans l'esprit de la personne qui lit cette parabole.
Voici les symboles que j'ai identifiés dans le texte :
1. Sommeil :
L'auteur utilise « pendant
que les gens dormaient… » (v.25)" le sommeil montre la non-vigilance
et l'échec du côté des serviteurs pourtant responsables du soin du champ. En
outre, l'ennemi est actif lorsque tout le monde dort.
2. Ennemi :
Il symbolise le «mal». Il sème l'ivraie dans la nuit, quand tout le monde dort.
Il est une menace pour le royaume.
3. Déraciner / ramasser :
ces verbes symbolisent une intervention manuelle. Celle d’enlever l'ivraie du
champ.
4. Récolte/ moisson :
ces actions symbolisent la dernière journée, la collecte et le tri du blé et de
l'ivraie.
5. Brûler :
ce verbe symbolise le feu et la destruction.
6. Grenier :
Le dernier endroit où le blé est entreposé après la récolte.
2.
Cadre
Géographique
et topologique
Jésus
raconte la parabole au bord de la mer de Galilée. Il s'assoit sur un bateau,
la foule étant rassemblée autour de lui. L'image de Jésus assis sur le bateau,
la foule étant debout, symbolise Jésus qui enseigne avec autorité. La parabole
est très liée à la vie agricole de la localité. Dans la parabole, nous voyons
le champ où un homme sème le bon grain, la croissance commune du blé et de l'ivraie,
les serviteurs et les moissonneurs agissant, la récolte et la moisson des
grains, la maison du maître avec ses serviteurs.
Cadre
Social
Celui
d’une société féodale dans laquelle les esclaves travaillent pour le maître,
les esclaves cherchant les ordres du maître, le maître prenant toutes les
décisions.
Cadre
temporel
Ce
qui suit est l'analyse des temps dans la parabole sur la base de l'analyse
narrative de Mark Allan Powell[13].
Grâce à cette analyse, nous pouvons comprendre le cadre temporel de la parabole
comme suit :
Non, dit-il, de peur que ...
vous ne déraciniez le blé ... »
Le
centre de la parabole est l'interaction entre le maître et les serviteurs.
Avant l'interaction, ce qui s'est passé dans le champ est présenté sous forme
de récit. Au début de l'interaction, la présence de l’ivraie et la source du
problème sont révélés dans deux analepses. Le dialogue se termine par la
résolution du problème (prolepse externe).
Le
maître
Si
nous identifions le semeur (v. 24) avec le maître (v. 27), il est l'un des
protagonistes du récit.
Il interprète l'acte de l'ennemi. Il prend toutes les décisions. Il est
intéressant de noter qu'il ne blâme pas les serviteurs pour leur non-vigilance.
Il interprète directement l'action de semer l’ivraie dans le champ comme le
fait de l’ennemi. Son caractère est très dynamique et il décide ce qu'il fera à
la fin. Il contrôle la situation et a confiance dans la fin.
Les
serviteurs
Ils
sont prêts au dialogue avec le maître. Ils s’informent sur la présence de
l’ivraie et demandent conseil au maître. Mais il est vrai qu'il était de leur
responsabilité de prendre soin de la plantation au cours de la nuit. Il est
intéressant de noter que le maître ne les blâme pas pour leur manque de
vigilance.
L’ennemi
Même
si sa présence est très limitée et même si elle apparaît sans caractéristiques
constitutives remarquables, l'acte de l'ennemi est décisif. Le récit prend un
tournant avec l'action de l'ennemi. Celle-ci montre également la présence du
diable dans le royaume. L'action de l'ennemi n’est révélée et interprétée que
par le maître.
4.
Point de
vue
La
parabole adopte le point de vue idéologique que la victoire finale sera pour le
bien et que le mal sera détruit. La parabole montre la coexistence du blé avec
l’ivraie. La présence de l’ivraie est attribuée à l'action nocturne de
l'ennemi. Mais le propriétaire du champ est confiant que l’ivraie pourra être
détruite pendant le temps de la récolte. La parabole représente symboliquement
la récolte du blé dans le grenier et la collecte de l’ivraie à brûler au moment
de la récolte.
La
parabole prend aussi le point de vue idéologique de la coexistence du blé et de
l’ivraie dans le même champ. En montrant cette coexistence, elle montre la
valeur de l'ajustement et l'acceptation de la réalité de la «mauvaise» herbe
dans le champ / monde. Le maître demande à ses serviteurs de faire preuve de
patience et d’accepter la réalité de la «mauvaise» herbe au milieu de la
«bonne». La parabole montre aussi la nature réelle du royaume au milieu du bien
et du mal.
Du
point de vue des personnages
Serviteurs
: Les serviteurs sont surpris de voir la présence de l’ivraie dans le champ.
Afin de couvrir leur faute et d'échapper à la peine de leur maître, ils
demandent, « Maître, n'est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton
champ ? D'où vient donc qu'il s'y trouve de l'ivraie ? » (v.27). La question est également vue comme la
volonté des serviteurs de se libérer de leur responsabilité.
Maître
: Le maître ne blâme pas les serviteurs pour leur non-vigilance. En fait, il
agit comme s’il connaissait l'action de l'ennemi dans son champ. Il demande aux
serviteurs d’être patients et d’attendre le jour de la récolte. Il a également
permis à l’ivraie de se développer jusqu'au jour de la récolte.
Ennemi:
ses intentions ne sont pas claires, sauf qu’il a voulu détruire le blé de son
voisin. Ayant peur d’agir en plein jour, il le fait la nuit. Il est conduit par
la jalousie et la méchanceté envers son voisin.
5.
L'intrigue
1-
situation initiale: v .24
2-
nouement: v. 25-26
3-
action transformatrice: v.27-29
4-
dénouement: v. 30a
5-
situation finale: v.30b
La
situation initiale de la parabole porte notre attention sur le champ où le bon
grain est semé par «un homme». Le royaume des cieux emprunte à trois images :
« le champ » où le « bon grain » est semé par « un
homme ». Il est lié (nouement) au v 25-26 qui ajoute ce qui s'est passé
dans le champ où le bon grain a été semé. Mais nous voyons une transition
rapide au point 3 où le discours indirect (points 1 et 2) se transforme en
discours direct. Les serviteurs sont entrés en scène et informent le maître de
la présence de l’ivraie. La transition soudaine crée une tension dramatique
dans la parabole. Mais le maître perçoit l'action de l'ennemi et invite les
serviteurs à attendre la moisson.
L'intrigue
de la parabole révèle le problème de la présence de l’ivraie parmi le blé. Elle
propose également la résolution du problème. En effet, le protagoniste (le maître)
et les serviteurs identifient la «personne» qui a commis l'acte de semer l’ivraie
et décident ensemble ce qu'il faut faire à l'avenir. Par conséquent, l’action transformatrice
dans l'intrigue nous aide à comprendre le protagoniste - le maître. Elle nous
aide aussi à comprendre ses futures décisions pragmatiques.
Voici
quelques-uns des points importants de l'intrigue :
·
L'action de l'ennemi n'est pas due à la
non-vigilance des serviteurs. L'ennemi a utilisé la situation.
·
La réponse du maître est stimulée par
l'incompréhension et les propositions inappropriées des serviteurs.
·
Afin de protéger le blé, les mauvaises
herbes peuvent se développer jusqu'à la moisson.
6.
Lecteur
Le
narrateur crée dans l'esprit du lecteur implicite l’image de l’ivraie qui pousse
avec le blé, pour que le lecteur accepte la réalité de l’ivraie parmi le blé. Puisqu'il
a commencé avec la comparaison du champ avec le royaume, il est facile pour le
lecteur de comprendre la réalité et la nature du royaume. Il suggère également
que cette coexistence de l’ivraie et du blé ne sera pas éternelle. Le jour de
la récolte, ils seront séparés et triés, le blé étant conservé dans un grenier et
l’ivraie brûlée.
Analyse narrative de l'explication de la parabole (Mt 13, 36-43)
1.
Les procédés rhétoriques
Analyse lexicale
L’ivraie
(ζιζάνιον)
|
3
|
Bon
grain (καλὸν σπέρμα)
|
2
|
Sème
(σπείρω)
|
2
|
Anges ἄγγελος {ang'-el-os}
|
2
|
Ramasser
(συλλέγω)
|
1
|
L’ivraie (ζιζάνιον)
Explique-nous
la parabole de l'ivraie dans le champ
(v. 36)
…l'ivraie, ce sont les sujets du Mauvais
(v. 38)
...qu'on
enlève l'ivraie et qu'on la consume
au feu (v.40)
Le
mot - l’ivraie est utilisée trois
fois, le seul mot répété trois fois. Tout d'abord, ce sont les disciples qui
demandent à Jésus d’expliquer la parabole. Il est intéressant de noter que la
parabole est identifiée comme la parabole de l’ivraie et non comme celle du bon
grain ou du blé. Cela montre que l'auteur souligne la réalité de l’ivraie parmi
le blé comme une allégorie de l'existence du bien et du mal dans le royaume.
Deuxièmement, l’ivraie est le fait du mauvais et enfin, le destin de l’ivraie
est qu’on l’enlève et la consume au feu
(v.40).
Anges
(ἄγγελος)
….les
moissonneurs, ce sont les anges (v.
39)
………..le Fils de
l'homme enverra ses anges (v.41)
Le
rôle et la désignation des anges sont clairement mentionnés dans l'explication :
ce sont les moissonneurs et leur rôle est de déraciner et de recueillir l’ivraie.
On souligne leur rôle quand le rôle des serviteurs, lui, n'est pas mentionné.
Ramasser
(συλλέγω)
…ses
anges, qui ramasseront de son Royaume
tous les scandales… (v.41)
Le
mot est utilisé pour indiquer le fait d’enlever du royaume ce qui est mauvais.
2.
Cadre
Géographique
Jésus
donne l'explication de la parabole à l'intérieur de la maison. Jésus et ses
disciples étant seuls, les disciples lui demandent de leur expliquer la
parabole. Le cadre, à l'intérieur, et l'absence d’autres personnes montre que
l'explication n’est réservée qu’aux disciples.
Temps
Prolepse mixte - Celui qui sème le bon grain, c'est
le Fils de l'homme (v. 37)
Analepse - l'ennemi qui l’a semée, c'est le
diable (v. 39a)
Prolepse externe - De même donc qu'on enlève
l'ivraie et qu'on la consume au feu,
de même en sera-t-il à la fin du monde
: le Fils de l'homme enverra ses
anges, qui ramasseront de son Royaume
tous les scandales et tous les fauteurs d'iniquité, et les jetteront
dans la fournaise ardente : là
seront les pleurs et les grincements de dents v. 43 Alors les justes resplendiront comme le
soleil dans le Royaume de leur Père. (vv. 40-43a)
Le
diable et son action sont présentés dans le passé. Les actions du fils de
l'homme (le semis et l'envoi des anges) sont présentés respectivement au
présent et au futur. Le royaume du Fils de l'homme est présenté dans le présent
et le futur. Le champ est présenté dans les trois dimensions temporelles:
passé, présent et futur.
3.
Caractère
Jésus
Jésus
a le rôle d'expliquer la parabole à ses disciples. Matthieu présente Jésus ici
non seulement comme un narrateur, mais aussi comme un enseignant qui explique.
Disciples
Les
disciples qui semblent ne pas comprendre la parabole demandent à Jésus de leur
en donner l'explication.
Il
est intéressant de noter que Jésus donne les caractères de toutes les images
qu'il utilise dans la parabole. Le tableau suivant présente cette
caractérisation :
13,24-30
|
13,37-43
|
semeur
|
fils
de l'homme
|
champ
|
monde
|
Bon grain
|
fils
du royaume
|
l'ivraie
|
fils
du malin
|
l'ennemi
|
le
diable
|
moisson
|
jugement
|
moissonneurs
|
les
anges
|
4. Point de vue
L'explication
de la parabole ignore l'importance de l'action des serviteurs soulignés dans la
parabole et l'importance donnée à la place de la description de ce qui se
passera à la fin des temps. Le centre de la structure narrative de la parabole
est identifié comme la patience et la tolérance. L'explication met l'accent sur
l'élément apocalyptique (vv.
41–43).
5.
Intrigue
1- situation initiale: v. 37 - 40
2- action transformatrice: v. 41 - 42a
3- Situation finale: v. 42b – 43
L'interprétation
de la parabole a deux parties. La première partie (37-39) est centrée sur l’événement
des semailles et la seconde partie (40-43) sur la séparation eschatologique.
Dans la situation initiale (37-40), Jésus interprète sept détails de la
parabole (le maître - le fils de l'homme,
le champ - le monde, la bonne semence - les enfants du royaume, l'ivraie - les
enfants du mal, l'ennemi- le diable, la récolte - à la fin des temps, les
moissonneurs-les anges) La tension atteint son sommet dans l’action transformatrice
où est raconté le jugement eschatologique des méchants. L'interprétation se
termine par la description de la situation future des méchants et des justes.
6.
Lecteur
L'explication
aide le lecteur implicite à comprendre l'interprétation allégorique de la
parabole de l'ivraie. Elle crée une relation entre le narrateur implicite et le
lecteur implicite. Il est évident que les symboles et les indices donnés par le
narrateur implicite (Jésus) dans la parabole est claire dans l'explication. Le
narrateur implicite transmet sa théologie du royaume par l'explication. Il
invite la communauté de Matthieu à attendre le jugement final.
Conclusion
v Il
existe une tension entre les deux récits. La parabole donne de l'importance au dialogue entre les
serviteurs et le maître. Mais, l'explication met l'accent sur le jugement
dernier et le tri du mauvais du bon.
v L'interprétation
de la parabole qui prétend révéler le vrai sens de la parabole (13, 40) omet
l'appel à la patience et la tolérance qui caractérise la parabole : «Laissez
l'un et l'autre croître ensemble jusqu'à la moisson» (13, 30).
v L'explication
met l'accent sur le destin de l'ivraie : «Explique-nous la parabole de l'ivraie
dans le champ » v 36b. Elle change
le point de vue de la parabole, connue comme la parabole de l'ivraie parmi le
blé.
v D'un
point de vue narratif, le point culminant de la parabole se produit dans
l'interaction entre les serviteurs et leur maître. Le maître rejette la
proposition des serviteurs (une récolte
anticipée de l’ivraie). Il invite à la patience et à la tolérance nécessaires
et utiles pour résoudre le problème.
v «Laissez
l'un et l'autre croître ensemble jusqu'à la moisson» (13, 30) fait référence à
l'heure actuelle, tout en maintenant la validité dans le futur. Bien que, dans
l'avenir les serviteurs n'auront pas de rôle, ils sont priés d'être «patients»
et de « laisser …croître ».
v La
parabole et son explication ont en commun deux types de semeurs, deux sortes de
graines et un ennemi. L’une et l’autre montrent la réalité dualiste de
l'existence du bien et du mal.
v Dans
l'explication, cependant, nous voyons un changement de perspective : le semeur,
maintenant identifié comme le Fils de l'homme (v. 37), est le «σπείρων »
(celui qui sème) tandis que l'ennemi (le diable maintenant) est celui qui «σπείρας» (v. 39).
L'action de l'ennemi située dans le passé, est maintenant révélée.
v L'accent
de la parabole sur l'action des serviteurs (tolérance et patience) est remplacé
dans l'explication par une longue description de ce qui se passera à la fin des
temps. La description « apocalyptique » (v. 41-43), se concentre
uniquement sur les méchants. Cette phase crée un décalage dans l'intérêt et
l'accent.
v Le
maître garde une attitude calme et équilibrée en ce qui concerne le destin de
l’ivraie et du blé (v. 30). Dans l'explication, au contraire, on sent une sorte
de férocité excessive envers l'ivraie.
v L'explication
(v. 41- 43a) introduit un élément apocalyptique totalement absent dans la
parabole. Dans cette «petite apocalypse," les méchants se trouvent dans le
royaume du Fils de l'homme: le royaume du Fils de l'homme est donc décrit comme
un corpus mixtum.
J'ai compris de l'analyse narrative, qu'il y a une
grande différence entre la parabole et son explication. La parabole met
l'accent sur la réalité du bon et du mauvais dans le royaume actuel du Fils de
l'homme et l'explication sur le jugement eschatologique dans l'avenir. Cette
compréhension a orienté mon mémoire vers les dimensions ecclésiale et
eschatologique de la parabole et de son explication. Je vois dans le royaume
actuel, la réalité mixte de l'Église et le royaume futur à la fin du temps.
Partie - 2
La dimension
ecclésiale et eschatologique de la parabole de l'ivraie et de son
« explication[1] »
La dimension ecclésiale et eschatologique de la parabole de l'ivraie et de son « explication[1] »
La
parabole souligne deux réalités du royaume des cieux: la réalité présente et la
réalité future. Selon la parabole et son explication, la réalité actuelle du
royaume se manifeste dans la communauté des disciples de Jésus. Cette
communauté est le territoire qui correspond au royaume. Interprétée comme l'Eglise[2],
la réalité actuelle du royaume est un mélange des sujets du Royaume et des
sujets du Mauvais. Mais cette réalité du royaume sera remplacée par un royaume
futur où il n'y aura pas de place pour les sujets du Mauvais. Ils seront
recueillis et jetés dans la fournaise ardente. Dans ce
royaume, les justes resplendiront comme le soleil.
Je
vais essayer de comprendre et d’interpréter la parabole et l’explication de
cette réalité du royaume. Dans cette partie, je vais d’abord développer la
dimension ecclésiale de la parabole à la lumière de la communauté mixte
présente. Deuxièmement, je vais décrire la dimension «eschatologique» de cette
parabole.
La dimension ecclésiale de la parabole
Introduction
La
parabole de l'ivraie au milieu du blé est idéale pour comprendre la théologie
du royaume des cieux chez Matthieu. Matthieu y révèle l’état présent et futur
du royaume. Il montre la réalité actuelle du royaume au milieu du bien et du
mal. Il expose également l'état futur du royaume, où le mal sera éliminé par
les anges au jugement dernier alors que les justes resplendiront dans le
royaume comme le soleil. La réalité actuelle mêlant sujets du Royaume et sujets
du Mauvais ouvre à la dimension ecclésiale de la parabole. Même si on peut
analyser cette parabole dans plusieurs dimensions, mon étude s’intéresse à sa
dimension ecclésiale.
La communauté de la foi
L'interprétation
ecclésiale explique la parabole en termes de communauté de foi[3].
Cette communauté de foi avait du mal à discerner ce qu'il fallait faire avec
les membres mauvais. Comme dans la parabole, où l'ivraie est difficile à
identifier à partir du blé, la communauté avait du mal à identifier les
personnes mauvaises. Avec l’obligation d'attendre le fruit pour identifier
l'ivraie et le blé. Pour les disciples, déraciner les mauvaises personnes était
le seul moyen. Mais la parabole souligne la réalité de la coexistence du bien
et du mal jusqu'à la séparation au jugement dernier et le fait que ce sont les
anges qui auront la responsabilité de séparer le bien du mal et pas les membres
de la communauté. Elle souligne également la nécessité de coexister et d’être
patient avec les membres mauvais jusqu'au jugement dernier.
Le
problème des membres indignes est une question importante dans l'évangile de
Matthieu. La question des faux prophètes en 7, 21-23 est très semblable aux
questions abordées dans la parabole de l'ivraie. Elle partage deux
caractéristiques avec celles de la parabole de l'ivraie (13, 24-30, 41). Même s’ils
font des miracles et chassent les démons au nom de Jésus, ils ne se distinguent
pas des autres chrétiens, sauf qu’ils sont en même temps "méchants" (littéralement :
« ceux qui mettent en œuvre l’iniquité » Τοὺς ποιοῦντας τὴν ἀνομίαν
13,41).
Dans
le royaume du Fils de l'homme (v.41) ils seront supprimés. Dans ce verset, le Royaume
et la communauté des croyants - l’Eglise,
sont étroitement associés[4].
La parabole de l'ivraie présente cette image du royaume où le bien et le mal devront
vivre ensemble jusqu'au jugement dernier. Les serviteurs qui veulent enlever l'ivraie
représentent les bons croyants de cette Eglise voulant éradiquer le mal dans ce
royaume actuel. Mais la parabole souligne la nécessité d’être patient jusqu'au
dernier moment et d’accepter la réalité du mal.
Cette
même question est traitée encore une fois dans l'évangile de Matthieu en 18,
10-35, mais dans une direction différente. Même si la parabole de l'ivraie
exhorte la communauté à attendre et à être patiente avec les personnes
mauvaises, 18, 15-17 prend une direction opposée- qu'il
soit pour toi comme le païen et le publicain. (V.17). Cette contradiction
montre que le problème des membres de la communauté indignes est important dans
la communauté de Matthieu.
Le problème du bien et du mal dans l'Evangile de
Matthieu
Quatre
autres paraboles, propres à Matthieu, abordent le problème du bien et du mal
dans le royaume des cieux: la parabole du filet (13,47-50), celle du débiteur
impitoyable (18,23-35), celle du festin nuptial (22,1-14), et celle des dix
vierges (25,1-13)[5].
La parabole du filet (13,47-50) dans le même chapitre, donne une image claire
de la communauté de foi où toutes sortes de gens sont rassemblées par la
proclamation du royaume des cieux. La parabole souligne, au moment du jugement dernier,
qu’ils seront séparés et triés.
Cela
montre que le premier évangile se distingue par le souci de l'évangéliste à
propos de l'état mixte de l'Eglise à son époque. Il est clair, à partir de sa
narration, qu'il y a dans la communauté – du bon et du mauvais, de l’utile et de
l’inutile, du sage et de l’insensé, ce qui est problématique[6].
Matthieu est préoccupé par ce contexte ecclésial et il espère, à partir d’une
vision eschatologique, que le mal sera éliminé à la fin.
La présentation de la parabole
La
façon dont la parabole est présentée dans le chapitre souligne également la
dimension ecclésiale de la parabole. L'interprétation vise les disciples et pas
les foules. (13, 36). Ceci est souligné par l'interposition de la parabole du
grain de moutarde et du levain (13, 31-33), et l'énonciation sur l'utilisation
des paraboles (13, 34-35). Par conséquent, l'interprétation est pour la
communauté de foi et non pour les foules. Selon Kingsbury, chacune de ces péricopes
est indépendante et chacune a sa fonction prévue[7].
Selon lui, l'explication de la parabole n’est
qu’apparente, pas vraiment une explication de la parabole de l'ivraie. Elles
étaient destinées à deux publics différents et nous pouvons trouver un
changement de point de vue dans l'explication de la parabole. Cela nous invite
à découvrir l'intention du Matthieu et l'importance qu'il accordait à la
communauté de foi.
Cet
argument est également soutenu par le v. 41 «le Fils de l'homme enverra ses anges, qui
ramasseront de son Royaume tous les scandales et tous les fauteurs d'iniquité».
C’est la responsabilité des anges, du milieu du royaume- l'Eglise, de recueillir les τοὺς ποιοῦντας τὴν ἀνομίαν. Cela
signifie que Matthieu donne spécifiquement de l’importance au royaume et qu'il
voulait enlever de ce royaume les scandales et les fauteurs d'iniquité. Il est
clair que pour Matthieu, ceux qui font le mal hors du royaume ou de la
communauté ne sont pas sa préoccupation. Cela confirme la dimension ecclésiale
de la parabole qui est destinée à la communauté de foi.
Même
si la dimension ecclésiale de la parabole peut être étayée par des preuves
suffisantes, certaines phrases affaiblissent cet argument. La plus importante
est l'expression du verset 38, «le champ, c'est le monde ». Beaucoup d’exégètes
ont essayé de l'expliquer. Selon Charles W. F. Smith, l'expression « le
champ, c'est le monde », suggère le
problème de l'Église dans le monde, mais qui devient le monde dans l'Église[8]. Le champ, c'est
le monde où les bonnes graines sont semées, étant tenues de produire le bon
grain. Malheureusement, l'intervention de l'ennemi fait problème dans le champ,
qui est l'Eglise. Il interprète également cette allégorie de manière temporelle
plutôt que géographique[9].
Selon lui, nous sommes au moment où l'Évangile commence à produire des fruits.
Par conséquent, c’est dans le monde temporel que l'Eglise trouve la présence du
mal.
Une
autre façon de comprendre la dimension ecclésiale de la parabole est
d'identifier les «cultures» avec la communauté[10].
Dans un domaine, on peut trouver différents types de cultures, de tailles et
formes différentes, avec différentes capacités de production. Ici, nous voyons
la différence dans les cultures, pas dans le champ. Cette identification des
cultures avec la communauté permet la dimension ecclésiale de la parabole. Il
rejette l'idée que le monde soit l'Eglise, mais accepte l'existence de l'Eglise
dans le monde.
Comme
la différence entre les cultures, la parabole montre la différence dans la
communauté des disciples. Parmi ces disciples, certains sont des sujets du
Royaume et d'autres sont des sujets du Mauvais. On peut difficilement les
identifier au début, mais seulement à partir de leurs fruits. Selon cette interprétation,
il est donc clair que le verset 38 n'est pas un problème pour la dimension
ecclésiale de la parabole.
Une
autre menace importante contre l'interprétation ecclésiale de la parabole concerne
la discipline de la communauté contre les membres mauvais en Mt 18, 15-17. La
parabole prône la tolérance jusqu'au jugement dernier et souligne le rôle de
l'intervention divine dans la séparation du mal et du bien. Mais, Mt 18, 15-17 contredit
la parabole, exigeant que la communauté traite les membres mauvais comme les
païens et les publicains. Même si cela semble contradictoire, on a là deux
points de vue du même problème[11].
Dans les deux contextes, le problème est les membres mauvais, avec deux
réponses différentes.
Mais
il est intéressant de noter que Mt 18, 15-17 demande qu’on considère les membres
mauvais avec l’espoir d’une dernière chance. Avant de parler de la discipline
de la communauté, Matthieu souligne l'importance de la tolérance de la part des
autorités. La discipline communautaire doit intervenir après avoir donné aux
membres de nombreuses occasions de se réconcilier. Il est intéressant de noter
que le chapitre 18 décrit l'image d'un berger (18, 10-14) qui laisse ses
quatre-vingt-dix-neuf brebis à la recherche de l’« égarée ». Et celle du débiteur impitoyable
(18, 21-35) enseigne l'importance du pardon et met en garde ceux qui ne
pardonnent pas à leurs frères.
Le
chapitre 18 souligne le pardon de la communauté pour les membres mauvais et
l'importance de ramener les «égarées» à la communauté. Ainsi, nous pouvons
conclure que le chapitre 18 prend en charge la dimension ecclésiale de la
parabole de l'ivraie.
L'interprétation ecclésiale et le royaume des cieux
L'interprétation
ecclésiale de la parabole de l'ivraie a beaucoup contribué à comprendre la
théologie du royaume des cieux chez Matthieu. Il dépeint la réalité actuelle de
l'Eglise dans le milieu du bien et du mal. La formule d'introduction de la
parabole de l'ivraie (Ὡμοιώθη ἡ βασιλεία τῶν οὐρανῶν ἀνθρώπῳ σπείραντι) décrit
la réalité du royaume dans le présent[12].
Par conséquent, la parabole manifeste l'existence actuelle du royaume des
cieux.
La
réalité actuelle de l'existence du royaume justifie la dimension ecclésiale de
la parabole de l'ivraie. En d'autres termes, le royaume des cieux est manifeste
dans le présent de la communauté des disciples de Jésus. C'est cette communauté
qui est le territoire qui correspond au royaume[13].
La
parabole rapporte que l'existence actuelle de ce royaume est un mélange de bien
et de mal. Cette réalité de la coexistence du bien et du mal ne sera pas séparée
avant le jugement dernier, où le mal sera recueilli et brûlé. La parabole
mentionne également un avenir du royaume où les justes resplendiront comme le
soleil dans le ciel. Mais jusque-là la communauté sera composée du bien et du
mal.
Ainsi,
la parabole de l'ivraie a contribué à comprendre la réalité future du royaume
déjà manifesté dans la communauté actuelle des disciples. La parabole souligne
également l'intervention divine dans la séparation du mal de la communauté,
décourageant toute intervention humaine. Même si la discussion autour de la
séparation du mal de la communauté est active dans l'évangile de Matthieu, l’importance
est donnée au pardon, à la tolérance et à la patience.
B. La dimension eschatologique de la parabole et son explication
Introduction
La
parabole et son explication exposent non seulement la question ecclésiologique
de la présence du mal au sein de la communauté, mais aussi la venue de temps
eschatologiques d'un royaume futur où les justes resplendiront comme le soleil.
L'objectif de cette partie est de comprendre les dimensions eschatologiques de
la parabole et de son explication.
La vision eschatologique dans l'évangile de
Matthieu
Le
Nouveau Testament présente le futur comme l'avenir de Dieu. Il est clair que dans
le premier évangile, Matthieu donne beaucoup d'importance à l'eschatologie,
dans le sens où il évoque toujours l’avenir, mettant en garde ceux qui ne
produisent pas de fruits dans le temps. Il présente sa vision eschatologique sous
la forme d’une menace et dans l'espoir d’un jugement[14].
Matthieu n'a pas limité son discours eschatologique à la fin de ces chapitres
(25-26), mais l’a introduit au début de son Évangile avec la prédication de
Jean-Baptiste (3,7-12). Le terme utilisé (la fin du monde) (συντελείᾳ τοῦ αἰῶνος)
(13,39. 40. 49; 24,3; 28,20) coïncide avec le destin ultime de l'homme, qui est
le jugement eschatologique. En 16,27, Matthieu décrit la venue du «fils de
l'homme » qui rétribuera chacun
selon sa conduite. Ce faisant, Matthieu adhère à une croyance communément
admise dans le monde juif, au tournant de l’ère chrétienne, et partagée par
tous les auteurs du Nouveau Testament[15].
Les différentes images eschatologiques dans
l'Evangile de Matthieu
Nous
pouvons voir différentes images de la fin des temps dans l'évangile de
Matthieu. En Mt 25, 31-46 le fils de l'homme sépare les élus des damnés comme
le berger sépare les brebis des boucs. En 7, 22 le Christ répond aux faux
prophètes, qui prétendent faire de nombreux miracles en son nom, « Jamais
je ne vous ai connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez
l'iniquité ».
Une
même image de la fin des temps est présente dans les paraboles du serviteur
impitoyable, des talents et du festin nuptial. Celle du serviteur impitoyable
montre la punition eschatologique de ce serviteur – « son maître le livra
aux tortionnaires, jusqu'à ce qu'il eût remboursé tout son dû » (18, 34).
La parabole se termine par l'action du Père à l'avenir (ποιήσει) contre ceux
qui ne pardonnent pas à leurs frères du fond du cœur (v. 35). La parabole du festin nuptial montre l'image
de la personne entrant dans la salle du festin sans habit de noce. Celle des
talents, présente trois comparutions successives[16]
(25, 20-30).
L'image
du jugement apparaît dans l’affirmation de Jésus en 10,32-33; « Quiconque
se déclarera pour moi devant les
hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est dans les
cieux ; mais celui qui m'aura renié devant les hommes, à mon tour je le
renierai devant mon Père qui est dans les cieux ». ἔμπροσθεν est le terme
technique de la comparution devant un juge[17].
En 11,22-24 et 12,41 Jésus dit qu’au jour du jugement, la situation du peuple
d’Israël sera plus dure que ne le fut celle des habitants des villes païennes. Enfin,
en 19, 20 Jésus montre la restauration eschatologique du peuple élu, quand le Fils
de l'homme sera assis sur un trône de gloire, et ceux qui l’ont suivi sur douze
trônes, pour juger les douze tribus d’Israël. Mais la description du jugement
eschatologique dans Matthieu ne montre pas seulement la menace de la
condamnation mais aussi la promesse du salut[18].
Le jugement eschatologique dans la parabole
Le
jugement eschatologique est présenté à travers l'image de l’ivraie recueillie
et brûlée. Une déclaration similaire est faite par Jean-Baptiste en Mt 3, 10 concernant
les arbres n’ayant pas produit de bons fruits. Cette action aura lieu à la fin
du monde (v.40). Dans la parabole, la fin du monde est présentée comme le temps
de la moisson, quand les moissonneurs trieront l’ivraie du blé. La moisson
symbolise le jour du jugement. Ce sera la fin de ce temps présent, où la
communauté des disciples existait comme un corpus
mixtum.
Le
royaume des cieux (présent) annoncé par Jésus, malgré son caractère
eschatologique, n'apporte pas avec lui le jugement définitif de la fin des
temps[19].
Ce temps du jugement eschatologique dans l'avenir est raconté dans l'explication
de la parabole de l'ivraie. (v. 41-43). Jéremias se réfère à ces versets comme
à une « petite apocalypse »[20].
La moisson
La
moisson est utilisée comme une métaphore du jugement eschatologique. Cela
apparaît d'abord en 3,12 dans le message de Jean Baptiste. Dans la parabole, le
maître de la maison demande à ses serviteurs d'attendre la moisson pour
éliminer les mauvaises herbes. La parabole utilise l'image de la récolte avec
la collecte et le tri de l’ivraie et du blé.
L'explication
de la parabole utilise des termes eschatologiques comme « le Fils de
l'homme » « les anges » et « la fin de l'ère ».
C'est
le Fils de l'homme (ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου ) qui enverra ses anges (τοὺς ἀγγέλους
αὐτοῦ) pour recueillir les méchants et
les punir.
Le Fils de l'homme
Le
titre « Le Fils de l’homme », apparaît deux fois dans l'explication
de la parabole (v. 37 et v 41) avec des sens différents. D'abord, comme
celui qui sème la bonne semence, puis comme celui qui envoie les anges pour le
jugement eschatologique. (v.41). Au verset 41, le Fils de l'homme est présenté
comme le Juge daniélique, comme dans d'autres parties de l'Évangile (10,23;
19,28; 24, 3,30; 25,31). Mais en 13,37 le titre est utilisé pour expliquer
l'activité terrestre de Jésus. Matthieu utilise ce titre pour expliquer
l'autorité cosmique du fils de l'homme à la fin du temps ou de l'histoire
(13,40 et 24,3). La double mention de ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπο, ici, rend compte à la
fois de cette identité et de la différenciation des fonctions entre le Juge et
le Christ élevé[21].
Les anges
Matthieu
donne un rôle spécifique aux anges dans son jugement eschatologique. Dans la
plupart de ses récits eschatologiques, les anges apparaissent (16, 17). Dans la
parabole, il utilise les «moissonneurs» pour trier et recueillir l’ivraie du
blé. Dans l'explication, il identifie les «moissonneurs» et les anges. Dans le
jugement eschatologique, ce sont les anges qui séparent le mauvais du bon. Il
s'agit d'une intervention divine, sous la direction du Fils de l'homme. Ils
sont présentés comme l'acte d’une armée céleste impartiale.
Le mal
Matthieu
utilise l'image du fils de l'homme qui envoie ses anges pour le jugement final
(16,27; 24,30-31; 25,31-33). Dans l'explication de la parabole, les anges
rassemblent πάντα τὰ σκάνδαλα (tous les scandales) et τοὺς ποιοῦντας τὴν ἀνομίαν (tous les fauteurs
d'iniquité). Matthieu donne beaucoup d'importance au mot «scandales» dans son
évangile[22].
En 18, 6-7 il parle fortement contre ceux qui sont scandaleux pour les petits.
Pour lui, c'est un grave péché.
Matthieu
considère que l'essence du mal est ἀνομία (l’iniquité)[23].
Il lui accorde une importance particulière dans de nombreuses parties de son
évangile (7,23; 23,28; 24,12). Les impies seront rassemblés et séparés de son
royaume- l'Eglise visible. Matthieu
exprime leur sort en termes apocalyptiques - ils seront jetés dans la fournaise
de feu. La fournaise de feu est réservée aux méchants. Quand les méchants
seront jugés, il y aura des pleurs (κλαυθμὸς) et des grincements de dents
(βρυγμὸς τῶν ὀδόντων) dans la fournaise de feu (Matthieu 13, 42)[24].
L’image de la fournaise de feu est tirée de Daniel 3,6, 11, 15, 20 et Malachie
4, 1-2. Cette même déclaration est faite plus tard en Matthieu 13, 50.
La loi et le jugement eschatologique
La
caractéristique décisive du croyant est l’obéissance à la volonté du Dieu -
expliquée dans la loi qui est interprétée par Jésus dans les chapitres 5-7.
Ceux qui entrent dans le royaume sont ceux qui ont fait la volonté du Père.
L’obéissance active à la volonté divine exprimée dans la Loi constitue ainsi à
la fois la pointe de l’enseignement du Christ et le critère du jugement
eschatologique du fils de l’homme[25].
Les justes
Si
les méchants doivent être punis, les justes doivent être récompensés. Matthieu
mentionne spécifiquement le privilège des «justes» (δίκαιοι). Ils resplendiront
comme le soleil dans le Royaume de leur Père.
L’expression « resplendiront comme le soleil » est très proche de la transfiguration de
Jésus en 17,2 qui raconte l'expérience de la gloire de Dieu. Cette promesse est
la même qu’en Daniel 12,3 qui décrit la bénédiction eschatologique des justes.
Ils seront aussi bénis dans le Royaume de leur Père (βασιλείᾳ τοῦ πατρὸ).
C'est le seul endroit dans Matthieu où le royaume est lié à Dieu le Père. En
12,50 cependant, la relation d'une personne avec le Christ est liée à une
relation avec le Père. Le discours se termine par l’exhortation «Entende, qui a
des oreilles» visant à la fois les méchants et les justes.
L'interprétation
donne une importance particulière au jugement eschatologique, langage proche
des prophéties de Daniel dans l'Ancien Testament. Ce langage est symbolique,
suscitant chez le lecteur la peur de la fournaise de feu et laissant éclater la
gloire de la lumière éclatante du soleil qui brille.
Conclusion
Comme
je l’ai mentionné dans l'introduction, l'objectif de ce mémoire a été de
comprendre le royaume des cieux selon Matthieu. La parabole de l'ivraie parmi
le blé et son interprétation m'ont aidé à comprendre cette vision du royaume propre
à Matthieu. Cette étude m'a aidé aussi à comprendre sa théologie du royaume des
cieux. À travers le discours de Jésus, Matthieu décrit la nature du royaume des
cieux. Telle est donc ci-après la synthèse de ma compréhension du royaume chez
Matthieu.
Quel est le royaume des cieux?
Une réalité actuelle
Pour
Matthieu, le royaume des cieux n'est pas seulement une réalité future propre au
temps eschatologique. Il est déjà là et il a commencé avec la venue de Jésus
(Mt 3, 2, 4, 17, 13, 24). La parabole associe spécifiquement le royaume de Dieu
au terrain où le semeur a déjà semé la bonne semence. Par conséquent, Matthieu
croit que le royaume des cieux est une réalité présente et qu’il est déjà là.
Une réalité mixte
Dans
le royaume des cieux (présent), Matthieu décrit la coexistence du bon et du
mauvais. Il est difficile d'accepter que le mal existe dans le royaume des
cieux, déjà annoncé par Jésus. Mais Matthieu attribue cette existence du mal à
l'action du diable, l'ennemi éternel de Dieu. Ici, il adopte une approche
dualiste selon laquelle le Royaume est une réalité mêlée de bien et de mal.
Mais il ne s’arrête pas à cette réalité présente, ayant l'espoir qu'il y aura
un jugement eschatologique à la fin des temps et qu’un royaume futur sera
établi. Dans ce royaume, les justes resplendiront comme le soleil et le mal
sera supprimé.
La patience et la tolérance
L'un
des thèmes centraux présent dans le dialogue entre le maître et les serviteurs
est celui de l’attente passive jusqu'à la récolte. Matthieu souligne la
patience et la tolérance propres à cette réalité actuelle du royaume où le bien
et le mal coexistent ensemble. L'attente passive de la communauté doit durer
jusqu'au jugement eschatologique.
L’espoir en l'avenir
Matthieu
n'arrête pas son discours sur le royaume avec la réalité actuelle de la
communauté mais annonce un royaume futur à la fin des temps, où méchants et
justes seront jugés. Il raconte la gloire des justes et la misère des méchants
dans la fournaise de feu.
Le
contexte actuel de l'Église en ce monde rappelle la situation de la parabole.
Aujourd'hui, l'Eglise est composée d'un mélange de bon et de mauvais. Parfois
le mal semble dominer le bon et le monde juge l'Église comme corrompue et mauvaise.
Mais il est vrai que c'est Jésus qui a fondé cette Eglise et qu’elle est son
royaume « présent ». Même si la parabole laisse espérer que ce
royaume présent sera remplacé par un royaume futur.
Où est ce royaume ?
L'une
des questions importantes étudiées lors de ce travail est : où est ce
royaume ? Est-ce l'Eglise ou l'ensemble de l'humanité. En analysant la
dimension ecclésiale de la parabole et son explication dans le contexte de
Matthieu, j’ai conclu que la réalité actuelle du royaume est l’Église. En
d'autres termes, le royaume des cieux se manifeste au présent dans la
communauté des disciples de Jésus qui est l’Église. C'est cette communauté qui
est le domaine qui correspond au royaume. Le royaume actuel est constitué à la
fois des fils du royaume et des fils du malin qui ne seront pas séparés avant
le jugement eschatologique, qui conduira à la création du royaume futur, où les
justes resplendiront comme le soleil. Mais jusque-là, la communauté de la foi -
l'Eglise, sera composée de deux types d’individus.
La vision eschatologique
Matthieu
définit clairement sa vision eschatologique du « royaume futur », en particulier
dans son interprétation de la parabole. Il utilise l'image de la moisson pour
décrire la fin des temps, où le Fils de l'homme enverra ses anges pour
rassembler les méchants et punir « tous les scandales et tous les fauteurs
d'iniquité ». Pour Matthieu, la caractéristique décisive du croyant est
l’obéissance à la volonté divine exprimée dans la Loi. Le Jésus de Matthieu en
12, 50 parle de « quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux ».
Il
décrit également la gloire des justes. Il associe la gloire des justes à la
transfiguration de Jésus. Ils resplendiront comme le soleil dans le royaume.
Ils seront bénis dans le royaume de son Père.
L'exhortation
finale «Entende, qui a des oreilles !», souligne le fait que même si le royaume
actuel est composé de bien et de mal, l'exhortation s’applique à tout le monde.
Elle interroge la sécurité sotériologique de ceux qui prétendent être justes et
garantit l'espoir à ceux qui sont prêts à changer.
Pour
Matthieu, et je conclus par cela, la question eschatologique de la présence de
mauvais au sein de la communauté est la manifestation logique d'un conflit
cosmique qui attend sa résolution dans les temps eschatologiques. L’évangéliste
a l'espoir que cet avertissement eschatologique va aider les méchants d’aujourd’hui
à suivre la volonté de Dieu et à sortir de l'illusion d’une sécurité
sotériologique.
BIBLIOGRAPHIE
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« Literary Evidence of a Fivefold Structure in the Gospel of Matthew », NTS 43, 1997, p. 540-551
[1] En fait ce n'est pas une
explication de la parabole que Jésus donne en Mt 13, 36-43, mais une reprise ou une
interprétation de la parabole à la demande des disciples.
[2]
L’Église à l’époque de Matthieu- la communauté de foi.
[3] Fondée sur les textes des
C.H. Dodd , The parables of the Kingdom
, London, 1936, p. 137; Joachim Jeremias, Les
paraboles de Jésus, Lyon, 1964, p 82 ; Ulrich Luz, Matthew in History, Minneapolis, 1994,
p, 78-79 ; Daniel Marguerat, Le jugement dans l'Evangile de Matthieu, Genève,
1995, p, 428-30.
[4] Robert K. McIver, “The Parables of the Weeds
among the Wheat (Matt 13:24-30, 36-43) and the Relationship Between the Kingom
of God and the Church as Portrayed in the Gospel of Matthew,” JBL (1995), p 649.
[5] E. Schweizer, The Good News According to Matthew, London, 1979, p, 302-03.
[6] C. W. F. Smith, “The Mixed State of
the Church in Matthew’s Gospel”, JBL
82(1963), p, 153.
[7] J. D. Kingsbury, The parables of Jesus in Matthew 13 : a study in redaction-criticism,
London, 1969, p, 16.
[8] C. W. F. Smith, p, 153.
[10] R. K. McIver, p.652.
[12] L’aoriste est utilisé pour introduire la parabole de
l'ivraie. Selon Jéremias, les deux temps- présent et aoriste- sont synonymes.
[13]
Ibid., 658
[14]
Daniel Marguerat, Le jugement dans
l'Evangile de Matthieu, Genève, Labour et Fides, 1995, p, 13
[19] W.D. Davies and Dale C. Allison Jr, A critical and exegetical commentary on the
Gospel according to Saint Matthew. 3, Commentary on Matthew XIX-XXVIII,
Edinburgh, 1997, p. 393.
[20] Joachim Jeremias, Les
paraboles de Jésus, p, 40-43.
[21] Daniel Marguerat, p, 441
[22] W.D. Davies and Dale C. Allison Jr,
p, 394
[23]
Ibid.
[24] L’expression « pleurs et
grincements de dents », se retrouve six fois en Matthieu (8, 12, 13, 42, 50,
22, 13, 24, 51; 25, 30) et une fois en Luc (13, 28) en référence à l'état
terrible de souffrance lié à la séparation des justes et du royaume du Père.
[25]
Daniel Marguerat, p,215
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