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Le royaume des cieux dans la parabole de l'ivraie (Mt 13, 24-30) et de son explication (36-43)

Introduction

Choix et intérêt du sujet

J’ai été très attiré par le thème du «Royaume de Dieu» dès les premières années de ma formation, continuant à lire et à réfléchir sur ce sujet au cours des années. Sujet qui continue à influencer toute ma vie. J'ai la conviction forte qu’en tant que disciple de Jésus, c'est ma mission de travailler à l’avènement de ce royaume, qu’ont annoncé Jésus et ses apôtres. C'est le message global de la Bible. J’ai pensé que c’était le bon moment pour moi d'approfondir ce concept sous la forme de mon mémoire.
Cela m'a amené à lire les quatre évangiles attentivement. Au cours de ces recherches, je me suis posé des questions de base comme : Quelle est la nature du royaume de Dieu ? Est-ce que le royaume de Dieu diffère du royaume des cieux ? Est-il déjà arrivé ? Si non, quand doit-il venir ? Qu'est-ce que le Christ enseigne sur le royaume ?
Ces recherches m’ont conduit à l'évangile de Matthieu et ont créé en moi un intérêt pour étudier la notion de royaume de Dieu telle qu’il l’expose. J'ai découvert que c’était le thème central de son évangile. Une analyse de la structure de Matthieu m'a aidé à me concentrer sur le chapitre 13 où il parle du mystère du royaume en paraboles.
Après avoir lu et compris comment ce thème est traité dans le chapitre 13, j'ai trouvé que la parabole de l'ivraie parmi le blé (Matthieu 13, 24-30, 36-43) était appropriée à mon mémoire. Je pense que cette parabole et son explication par Matthieu proposent un texte idéal pour examiner le concept du Royaume des cieux selon Matthieu.

La question

L'objectif de ce mémoire était donc de comprendre la théologie du royaume des cieux selon Matthieu. Par conséquent, les questions spécifiques que j’ai voulu poser et découvrir à travers de cette mémoire sont :
Quel est le royaume des cieux selon Matthieu ? Comment est-il présenté dans la parabole de l'ivraie et son interprétation ? Quelle est sa nature ? Quelle théologie du royaume est enseignée à travers la parabole et son interprétation ?

Approche méthodologique: de l’analyse narrative (définition, objectif et outils sélectionnés)   

Ayant lu des textes de James L. Resseguie, Mark Allan Powell, et Bourquin-Marguerat[1], j'ai décidé de choisir l'analyse narrative comme méthodologie pour l'analyse de la parabole et son explication. Les éléments suivants sont la définition, les objectifs et les outils de l'analyse narrative utilisés dans ce mémoire.

L’analyse narrative est une méthode exégétique qui s’intéresse à la manière dont  la littérature biblique fonctionne comme littérature. Cette analyse examine le contenu, la rhétorique et la structure de la péricope comme un tout organique. Elle examine les qualités qui la rendent littéraire.

1.  L’analyse narrative considère le texte comme un tout. Plutôt que de diviser le texte en parties, cette méthode voit la péricope comme une unité et observe les liens qui font du récit,  un tout unifié.
2. L’analyse narrative examine la complexité et les nuances du texte. Elle s’intéresse à la structure, aux stratégies rhétoriques, au développement du caractère, des images, des paramètres et des points de vue.
3. L’analyse narrative souligne l'effet du narrateur sur le lecteur. Elle étudie les stratégies de l'auteur implicite pour changer le point de vue du lecteur implicite. L'étude montre comment le narrateur persuade et change le point de vue du lecteur.

Les procédés rhétoriques
La rhétorique est l'art de la persuasion. Elle est une partie intégrante et indispensable d'un discours. C'est un moyen par lequel l'auteur nous persuade de son point de vue idéologique, des normes et valeurs auxquelles il croit. Le but de cet outil est de comprendre comment Matthieu persuade son lecteur implicite par la parabole et son explication. L'analyse comprend l'étude de la répétition des mots clés, des actions, des tendances, des parallélismes, des fils verbaux et des symboles de la parabole et de son interprétation. Cette analyse doit aider à comprendre la structure et le thème du texte.
Le cadre
Le cadre est le fond où a lieu l'action narrative[2]. Ce peut être l'environnement physique, socio-culturel, temporel ou religieux. Il peut être géographique, topographique, religieux ou architectural. Il peut être social ou culturel, temporel ou spatial. Cet outil doit me permettre d’analyser les paramètres géographiques et topographiques du texte. Il étudie attentivement les contextes sociaux, culturels et politiques de la parabole. Cette analyse doit m'aider à comprendre la situation dans le texte. Parmi les cadres temporels, j’analyserai les analepses, prolepses, prolepses mixtes et prolepses externes.
La caractérisation
Les personnages sont les dramatis personae, la liste des personnes dans l'histoire[3]. Les personnages se révèlent à travers leurs discours (ce qu'ils disent et comment ils le disent), leurs actions (ce qu'ils font), leurs vêtements (ce qu'ils portent), leurs gestes et postures (comment ils se présentent). Ils sont connus par ce que les autres disent à leur sujet. Egalement par l'environnement et le cadre dans lequel ils travaillent et évoluent. Enfin par leur position dans la société. Cet outil doit me permettre d’analyser les personnages, leurs paroles et actions. La parabole comprend un grand nombre de caractères. Une étude approfondie doit m'aider à comprendre leur point de vue et leur message.
Le point de vue
Le point de vue « signifie la façon dont une histoire est racontée »[4]. Les actions des personnages, leurs dialogues, leur rhétorique et le cadre sont présentés à travers le point de vue du narrateur. Cet outil aide à comprendre comment l'auteur communique son point de vue au lecteur. Il va m’aider à comprendre comment Matthieu change les normes, les croyances et les valeurs du lecteur dans son discours.

L’intrigue
Une bonne compréhension de l'intrigue est importante pour déterminer la structure, l'unité et le sens de la narration. C'est le principe de conception qui contribue à notre compréhension de la signification du récit. L'intrigue est la séquence des événements ou incidents qui font un récit, apportent des changements dans le récit. Les actes d'un personnage sont ses actions physiques, de parole, ses pensées, sentiments, perceptions. Telles sont les cinq étapes de mon analyse du texte : 1. la situation initiale, 2. la complication (appelée aussi élément perturbateur ou nœud), 3. l’action transformatrice, 4. le dénouement, 5. la situation finale. Cette étude doit m'aider à entrer dans les minutes du texte.
Le lecteur
Cette étape de l'évaluation est basée sur l’idée que tout récit s'adresse à un lecteur implicite et que l’auteur implicite compte sur la coopération active de ce lecteur. Cet outil est utilisé pour envisager ce lecteur implicite. Il étudie également le nouveau point de vue que le narrateur souhaite pour son lecteur.


Partie 1
Analyse narrative et contexte de la parabole de l'ivraie (13,24-30) suivi de son explication[1] (36-43)


L'objectif de ce chapitre est de faire une analyse narrative de la parabole (Mt 13, 24 -30) et son explication (36-43). Avant de procéder à l'analyse narrative, je voudrais expliquer le contexte dans lequel Jésus a utilisé cette parabole. Pour faire cela, je vais étudier la structure de l'Évangile de Matthieu et la place du chapitre 13 dans l'Evangile. Deuxièmement, une étude du chapitre 13 sera faite pour comprendre sa structure et son contexte immédiat.

La structure de l'Évangile de Matthieu

Selon B. W. Bacon, Matthieu a divisé son évangile en cinq blocs indépendants, qui peuvent être considérés comme cinq livres comme le Pentateuque[2]. Son idée se fonde sur deux phénomènes. Le premier est que le discours de Jésus est conclu cinq fois par une formule (Καὶ ἐγένετο ὅτε ἐτέλεσεν en 7,28; 11,1; 13,53; 19,1; 26,1); selon Bacon, cette formule introduit une césure profonde dans le texte. Le second phénomène est que chaque discours (D) est précédé par une section d'introduction narrative (N). Au total, ce modèle (N + D) se reproduit cinq fois, alors que l’évangile de Matthieu est composé de cinq livres, dont le premier commence en 3, 1 et le dernier se termine en 25, 46. Ces cinq livres sont encadrés par un préambule (Matt 1-2) et un épilogue (Matt 26-28). Voici donc la façon dont Bacon a divisé l'Evangile de Matthieu[3] :
Préambule 1,1-2,23
Livre 1            03,1-4,25 (N) et 5,1-7,27 (D); formule: 7,28-29
Livre 2            08,1-9,35 (N) et 9,36-10,42 (D); formule: 11,1
Livre 3            11,2-12,50 (N) et 13,1-52 (D); formule: 13,53
Livre 4            13,54-17,20 (N) et 17,22-18,35 (D); formule: 19,1a
Livre 5            19,1b-22, 46 (N) et 23,1-25,46 (D); formule: 26,1
Epilogue          26,3-28,20

Le point de vue selon lequel l'évangile de Matthieu est composé de cinq livres a été soutenu par les analyses littéraires de C. R. Smith[4]. Ses deux principaux arguments sont les suivants: 1. l'Evangile de Matthieu alterne entre récits et discours, et 2. chaque récit introduit un thème dont le discours suivant expose la suite. L'Evangile présente cinq couples consécutifs de discours narratifs, dans chacun desquels un thème relatif au Royaume est en cours d'élaboration.

L'introduction
généalogie (1,1-17)

Les fondations du royaume

1er narratif
(1,18-4,25)
premier discours
(5,1-7,29)
La mission du royaume

deuxième  narratif
(8,1-9,38)
deuxième discours
(10,1-42)
Le mystère du royaume

troisième narratif
(11,1-13,9)
troisième discours
(13,10-53)
La famille du royaume

quatrième narratif
(13,54-17,27)
quatrième discours
(18,1-35)
Le destin du royaume

cinquième  narratif
(19,1-23,39)
cinquième discours
(24,1-25,46)
Conclusion

récit de la Passion
(26,1-28,20)




De ces deux analyses de la structure de l'Évangile de Matthieu, il ressort clairement qu’au chapitre 13, le troisième discours de Jésus, est le centre de l'évangile de Matthieu. Selon Kingsbury, l'opposition contre Jésus atteint son point culminant ici dans le chapitre 13, et Jésus réserve l'explication de la parabole à ses disciples-qui représentent l'église[5]. A la suite des analyses de C.R. Smith, il est clair que le mystère du royaume se révèle sous la forme de paraboles dont l’explication est donnée aux disciples. Dans tous les cas, le chapitre 13 joue un rôle important dans l'évangile de Matthieu.
  1. La structure de Matthieu 13
Selon Kingsbury, le chapitre 13 peut être divisé en deux sections principales: vv.1-35 et 36-52[6]. Il identifie la structure du chapitre sur la base de deux publics différents et de deux scènes différentes : la première partie destinée à la foule au bord de la mer (1-35) et la deuxième partie à ses disciples dans la maison (36-52). Au v. 36, on peut identifier une transition claire, celle où Jésus quitta la foule et entra dans la maison. Il y a un contraste évident entre les vv. 2-3 (Et des foules nombreuses s'assemblèrent auprès de lui, si bien qu'il monta dans une barque et s'assit ; et toute la foule se tenait sur le rivage.) et : (Et il leur parla de beaucoup de choses en paraboles) qui vise l'enseignement privé de Jésus à ses disciples. Il existe aussi des similitudes dans les deux sections: chacune a son cadre respectif (vv.1-3a, 36a);  et dans chacune, il y a une discussion détaillée. (v v. 10-23, 36b-43); dans la première section, il y a quatre paraboles (semeur, mauvaises herbes, graines de moutarde, levain), dans la deuxième, il y en a trois (trésor caché, la perle, net) et chaque section a une conclusion.

Le contexte de Matthieu 13

Afin de marquer les divisions de son évangile, Matthieu utilise certaines formules comme par exemple celle qui intervient à la fois en 11,1 et en 13,53 : ….quand Jésus eut achevé ces[7]……. En analysant cette formule, nous pouvons identifier le contexte immédiat et le sujet traité dans le chapitre 13.
La première division
Le thème central de cette partie est le rejet de Jésus. La division 11, 2-13, 13, 53 se compose de deux grandes parties, la première se terminant au chapitre 12. Le thème principal de cette partie est l'opposition contre Jésus qui s’intensifie.
La première partie de cette section porte sur le doute de Jean-Baptiste concernant Jésus comme le «Messie» (11, 2-6) avec la réponse de Jésus : Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez. A l’époque de Matthieu, cela aurait pu être un problème pour les chrétiens de son Église[8].
L’insensibilité des habitants des villes de Chorazeïn, Bethsaïde et Capharnaüm (11,20-24) a mis Jésus en colère. Après avoir vu les miracles de Jésus, ces villes ne se sont pas repenties, s’exposant à un jugement pire que Tyr, Sidon et même Sodome (Matthieu 11,22 - 24).
Sans doute que l'indication la plus claire d'Israël rejetant Jésus comme Messie concerne l’accusation selon laquelle il chasserait  les démons par la puissance satanique. Jésus répond en disant qu'ils ont blasphémé le Saint-Esprit et de ce fait commis un péché impardonnable (Mt 12, 24-32).
Dans la péricope finale des chapitres 11-12, le thème du rejet de Jésus par les Juifs est précisé en se concentrant sur la vraie famille de Jésus (12, 46-30). Au milieu de la foule, Jésus définit sa famille comme ses "disciples" - l'église, qui fait la volonté du Père des cieux. Avec cette conclusion, Jésus entre dans la deuxième partie de la division - Chapitre 13.
La deuxième division
Dans la première partie du chapitre 13, (1-35), Jésus s'adresse à la foule. Dans les chapitres précédents (11-12), il a été dépeint, en conflit avec les différents groupes de la nation juive. Maintenant, il s'adresse aux foules-les foules juives incroyantes. Il leur reproche avec véhémence d'être aveugles, sourdes et fermées à son message de salut[9].
Il est étrange que Jésus arrête brusquement son discours à la foule et concentre son attention sur ses disciples (36-54). Dans les chapitres 11-12, Jésus est rejeté par les Juifs, en 13,1-35 il parle contre les Juifs qui ne font pas la volonté de Dieu. Cela étant fait, en 36-52, Jésus concentre toute son attention sur ses disciples qui représentent l'Eglise[10] - Il leur enseigne la volonté de Dieu. Nous pouvons donc conclure que les deux divisions lient les chapitres 11-12 avec l'apologie en 13, 1-35 et le discours avec les disciples 36-52.

Analyse narrative

La parabole de l'ivraie (Mt 13,24-30)

La parabole de l'ivraie et son explication (Mt13, 24-30, 36-43) va être examinée à travers les procédés rhétoriques, analysant le cadre, les aspects de la caractérisation, le point de vue, les aspects de l'intrigue et des lecteurs. Cette étude va permettre d'identifier les parties qui contribuent au tout.

1.      Les procédés rhétoriques

Analyse lexicale
Pour convaincre et attirer l'attention de ses lecteurs, Matthieu répète beaucoup de mots et d’actions clés dans la parabole de l'ivraie. Les éléments suivants sont la liste des répétitions de mots dans le texte :
Semé/ semant  σπείρω
3
Bon grain et blé
καλὸν σπέρμα et σῖτος 

2+5
L’ivraie ζιζάνιον 
5
Ramasser συλλέγω 
3
Moisson et moissonneur
θερισμός  et θερισταῖς
3

Semé/ semant σπείρω
A partir de la répétition du mot, il est clair que le récit porte sur le semis et que le problème rencontré est la croissance du blé. L'auteur utilise trois fois le verbe - semé/ semant (σπείρω).
  1. un homme qui a semé du bon grain dans son champ. (v. 24)
  2. son ennemi est venu, il a semé à son tour de l'ivraie (v. 25)
  3. Maître, n'est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? (v. 27)
La première référence vise la semence du bon blé par un homme, probablement le propriétaire. La deuxième est l'action de l'ennemi qui sème aussi l'ivraie. La troisième pose une question douteuse de la part des serviteurs. En utilisant trois fois le verbe «semer», l'auteur indique clairement que le problème est dans le champ, et que ce problème est celui de l'existence de l'ivraie parmi le blé, avec la confirmation par les serviteurs.
Bon grain (καλὸν σπέρμα)   et blé (σῖτος )
L'auteur utilise deux fois le mot – bon grain et cinq fois le mot le blé. Le mot blé est le mot le plus utilisé dans le texte, ce qui montre son importance.
  1. d'un homme qui a semé du bon grain dans son champ (v.24)
  2. il a semé à son tour de l'ivraie, au beau milieu du blé (v.25)
  3. Quand le blé est monté en herbe (v.26)
  4. Maître, n'est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? (v. 27)
  5. d'arracher en même temps le blé  (v.29)
  6. quant au blé, recueillez-le dans mon grenier."(v.30)
En insistant sur « bon grain», l'auteur prépare la surprise qui suit et en répétant cinq fois le mot blé, l'auteur montre que le blé est le centre du texte. Il veut montrer l'existence du blé au milieu d’ivraie. Il montre aussi ce qui se passera à la fin.
L’ivraie (ζιζάνιον)
Il donne une importance égale au mot- l’ivraie. En l’utilisant à cinq reprises, il montre la réalité de l'existence de l’ivraie parmi le blé.
  1. …..ennemi est venu, il a semé à son tour de l'ivraie (v. 25)
  2. Quand le blé est monté en herbe, puis en épis, alors l'ivraie est apparue aussi  (v. 26)
  3. D'où vient donc qu'il s'y trouve de l'ivraie ? (v. 27)
  4. …..en ramassant l'ivraie, d'arracher en même temps le blé  (v. 29)
  5. Ramassez d'abord l'ivraie et liez-la en bottes que l'on fera brûler (v. 30)
L'auteur montre l'identification de l’ivraie par les serviteurs, l'interprétation par le maître de l'acte de semer l’ivraie, permettant à l’ivraie de croître jusqu'à la moisson, et enfin, la collecte et le brûlage. L'auteur montre l'existence de l'ivraie parmi le blé jusqu'à la moisson et à la fin - sa destruction.
Ramasser (συλλέγω
Le verbe ramasser a un rôle important dans le texte. L'auteur l’utilise trois fois.
  1. Veux-tu donc que nous allions la ramasser ? (v. 28)
  2. … vous risqueriez, en ramassant l'ivraie, d'arracher en même temps le blé. (v. 29)
  3. Ramassez d'abord l'ivraie et liez-la en bottes que l'on fera brûler (v. 30)
L'auteur n’utilise le verbe qu’en lien avec l’ivraie. D'abord avec la question des serviteurs concernant le fait de ramasser l’ivraie. Deuxièmement avec la remarque du maître évoquant le danger d’empêcher le blé d’aller jusqu'à la moisson. Le dernier emploi enfin vise le fait de ramasser l’ivraie pour  la brûler.
Moisson (θερισμός) et moissonneur (θερισταῖς)
L'auteur utilise deux fois le mot - moisson, une fois pour les gens qui font la moisson – moissonneurs. Laissez l'un et l'autre croître ensemble jusqu'à la moisson ; et au moment de la moisson je dirai aux moissonneurs : Ramassez d'abord l'ivraie et liez-la en bottes que l'on fera brûler (v. 30). Il est intéressant de noter que même s’il a des serviteurs, il ne leur attribue pas le fait de semer. Et le travail de ramasser l’ivraie et de la brûler est donné aux moissonneurs.
Reprise thématique (Fil verbal)
Il leur proposa une autre parabole…….......... l'expression relie la parabole de l'ivraie à la parabole du semeur. Le thème traité dans le chapitre 13 est le royaume des cieux. A plusieurs égards, la parabole de l'ivraie traite des mêmes thèmes déjà traités en 13,1-23. Certains motifs -semis, les graines, le sol, le royaume, les obstacles à la croissance, le diable ou malin-sont répétés. Les deux paraboles visent à éclairer le problème du mal, qui est l'échec de l'Evangile à gagner le cœur de tous. Elles traitent le même problème du rejet du Messie et de l'incrédulité face à Jésus[11]. Et elles concluent ensemble que la victoire du Royaume de Dieu est sûre.
Parallélisme
L'auteur compare l'ensemble de la situation dans la parabole avec celle du Royaume. Le Ὡμοιώθη passif aoriste indique "que le Royaume des Cieux ... est une réalité présente et a déjà une certaine histoire derrière lui[12]. La parabole raconte le semis de l'ivraie par l'ennemi avec la présence des serviteurs censés veiller le blé. Nous voyons dans le maître, un homme d'expérience et sage, qui permet la croissance de l'ivraie avec le blé jusqu'à la moisson. Le jour de la récolte, l'ivraie sera recueillie et brûlée. Même si Jésus donne l’explication de la parabole plus tard dans le même chapitre, la comparaison de la personne qui sème la bonne semence avec ce qui se passe dans le Royaume veut montrer l'existence du Royaume au milieu du mal.
La portée symbolique des images 
Beaucoup de mots dans la parabole ont un thème symbolique. Puisque la parabole commence par comparer une personne qui sème la bonne semence dans un champ avec la réalité du royaume des cieux, les mots identifiés comme des symboles veulent créer des images profondes dans l'esprit de la personne qui lit cette parabole. Voici les symboles que j'ai identifiés dans le texte :
1.      Sommeil : L'auteur utilise  «  pendant que les gens dormaient… » (v.25)" le sommeil montre la non-vigilance et l'échec du côté des serviteurs pourtant responsables du soin du champ. En outre, l'ennemi est actif lorsque tout le monde dort.
2.      Ennemi : Il symbolise le «mal». Il sème l'ivraie dans la nuit, quand tout le monde dort. Il est une menace pour le royaume.
3.      Déraciner / ramasser : ces verbes symbolisent une intervention manuelle. Celle d’enlever l'ivraie du champ.
4.      Récolte/ moisson : ces actions symbolisent la dernière journée, la collecte et le tri du blé et de l'ivraie.
5.      Brûler : ce verbe symbolise le feu et la destruction.
6.      Grenier : Le dernier endroit où le blé est entreposé après la récolte.

2.       Cadre

Géographique et topologique
Jésus raconte la parabole au bord de la mer de Galilée. Il s'assoit sur ​​un bateau, la foule étant rassemblée autour de lui. L'image de Jésus assis sur le bateau, la foule étant debout, symbolise Jésus qui enseigne avec autorité. La parabole est très liée à la vie agricole de la localité. Dans la parabole, nous voyons le champ où un homme sème le bon grain, la croissance commune du blé et de l'ivraie, les serviteurs et les moissonneurs agissant, la récolte et la moisson des grains, la maison du maître avec ses serviteurs.
Cadre Social
Celui d’une société féodale dans laquelle les esclaves travaillent pour le maître, les esclaves cherchant les ordres du maître, le maître prenant toutes les décisions.
Cadre temporel
Ce qui suit est l'analyse des temps dans la parabole sur la base de l'analyse narrative de Mark Allan Powell[13]. Grâce à cette analyse, nous pouvons comprendre le cadre temporel de la parabole comme suit :
Deux analepses[14] : « n'as-tu pas semé ... ? » + « un ennemi fit cela»
Prolepse[15]  : «veux-tu que nous allions l'arracher?
                  Non, dit-il, de peur que ... vous ne déraciniez le blé ... »
Prolepse mixte[16] : « laissez croître ensemble»
           Prolepse externe[17]: moisson, moissonneurs, feu et grenier
Le centre de la parabole est l'interaction entre le maître et les serviteurs. Avant l'interaction, ce qui s'est passé dans le champ est présenté sous forme de récit. Au début de l'interaction, la présence de l’ivraie et la source du problème sont révélés dans deux analepses. Le dialogue se termine par la résolution du problème (prolepse externe).

Le maître
Si nous identifions le semeur (v. 24) avec le maître (v. 27), il est l'un des protagonistes du récit. Il interprète l'acte de l'ennemi. Il prend toutes les décisions. Il est intéressant de noter qu'il ne blâme pas les serviteurs pour leur non-vigilance. Il interprète directement l'action de semer l’ivraie dans le champ comme le fait de l’ennemi. Son caractère est très dynamique et il décide ce qu'il fera à la fin. Il contrôle la situation et a confiance dans la fin.
Les serviteurs
Ils sont prêts au dialogue avec le maître. Ils s’informent sur la présence de l’ivraie et demandent conseil au maître. Mais il est vrai qu'il était de leur responsabilité de prendre soin de la plantation au cours de la nuit. Il est intéressant de noter que le maître ne les blâme pas pour leur manque de vigilance.
L’ennemi
Même si sa présence est très limitée et même si elle apparaît sans caractéristiques constitutives remarquables, l'acte de l'ennemi est décisif. Le récit prend un tournant avec l'action de l'ennemi. Celle-ci montre également la présence du diable dans le royaume. L'action de l'ennemi n’est révélée et interprétée que par le maître.

4.       Point de vue

La parabole adopte le point de vue idéologique que la victoire finale sera pour le bien et que le mal sera détruit. La parabole montre la coexistence du blé avec l’ivraie. La présence de l’ivraie est attribuée à l'action nocturne de l'ennemi. Mais le propriétaire du champ est confiant que l’ivraie pourra être détruite pendant le temps de la récolte. La parabole représente symboliquement la récolte du blé dans le grenier et la collecte de l’ivraie à brûler au moment de la récolte.
La parabole prend aussi le point de vue idéologique de la coexistence du blé et de l’ivraie dans le même champ. En montrant cette coexistence, elle montre la valeur de l'ajustement et l'acceptation de la réalité de la «mauvaise» herbe dans le champ / monde. Le maître demande à ses serviteurs de faire preuve de patience et d’accepter la réalité de la «mauvaise» herbe au milieu de la «bonne». La parabole montre aussi la nature réelle du royaume au milieu du bien et du mal.


Du point de vue des personnages
Serviteurs : Les serviteurs sont surpris de voir la présence de l’ivraie dans le champ. Afin de couvrir leur faute et d'échapper à la peine de leur maître, ils demandent, « Maître, n'est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D'où vient donc qu'il s'y trouve de l'ivraie ? » (v.27).  La question est également vue comme la volonté des serviteurs de se libérer de leur responsabilité.
Maître : Le maître ne blâme pas les serviteurs pour leur non-vigilance. En fait, il agit comme s’il connaissait l'action de l'ennemi dans son champ. Il demande aux serviteurs d’être patients et d’attendre le jour de la récolte. Il a également permis à l’ivraie de se développer jusqu'au jour de la récolte.
Ennemi: ses intentions ne sont pas claires, sauf qu’il a voulu détruire le blé de son voisin. Ayant peur d’agir en plein jour, il le fait la nuit. Il est conduit par la jalousie et la méchanceté envers son voisin.

5.       L'intrigue

1-         situation initiale: v .24
2-         nouement: v. 25-26
3-         action transformatrice: v.27-29
4-         dénouement: v. 30a
5-         situation finale: v.30b
La situation initiale de la parabole porte notre attention sur le champ où le bon grain est semé par «un homme». Le royaume des cieux emprunte à trois images : « le champ » où le « bon grain » est semé par « un homme ». Il est lié (nouement) au v 25-26 qui ajoute ce qui s'est passé dans le champ où le bon grain a été semé. Mais nous voyons une transition rapide au point 3 où le discours indirect (points 1 et 2) se transforme en discours direct. Les serviteurs sont entrés en scène et informent le maître de la présence de l’ivraie. La transition soudaine crée une tension dramatique dans la parabole. Mais le maître perçoit l'action de l'ennemi et invite les serviteurs à attendre la moisson.
L'intrigue de la parabole révèle le problème de la présence de l’ivraie parmi le blé. Elle propose également la résolution du problème. En effet, le protagoniste (le maître) et les serviteurs identifient la «personne» qui a commis l'acte de semer l’ivraie et décident ensemble ce qu'il faut faire à l'avenir. Par conséquent, l’action transformatrice dans l'intrigue nous aide à comprendre le protagoniste - le maître. Elle nous aide aussi à comprendre ses futures décisions pragmatiques.
Voici quelques-uns des points importants de l'intrigue :
·         L'action de l'ennemi n'est pas due à la non-vigilance des serviteurs. L'ennemi a utilisé la situation.
·         La réponse du maître est stimulée par l'incompréhension et les propositions inappropriées des serviteurs.
·         Afin de protéger le blé, les mauvaises herbes peuvent se développer jusqu'à la moisson.

6.       Lecteur

Le narrateur crée dans l'esprit du lecteur implicite l’image de l’ivraie qui pousse avec le blé, pour que le lecteur accepte la réalité de l’ivraie parmi le blé. Puisqu'il a commencé avec la comparaison du champ avec le royaume, il est facile pour le lecteur de comprendre la réalité et la nature du royaume. Il suggère également que cette coexistence de l’ivraie et du blé ne sera pas éternelle. Le jour de la récolte, ils seront séparés et triés, le blé étant conservé dans un grenier et l’ivraie brûlée.

Analyse narrative de l'explication de la parabole (Mt 13, 36-43)

1.      Les procédés rhétoriques

Analyse lexicale
L’ivraie (ζιζάνιον)
3
Bon grain (καλὸν σπέρμα)
2
Sème (σπείρω)
2
Anges  ἄγγελος {ang'-el-os}
2
Ramasser (συλλέγω)
1

L’ivraie (ζιζάνιον)
Explique-nous la parabole de l'ivraie dans le champ (v. 36)
l'ivraie, ce sont les sujets du Mauvais (v. 38)
...qu'on enlève l'ivraie et qu'on la consume au feu (v.40)
Le mot - l’ivraie est utilisée trois fois, le seul mot répété trois fois. Tout d'abord, ce sont les disciples qui demandent à Jésus d’expliquer la parabole. Il est intéressant de noter que la parabole est identifiée comme la parabole de l’ivraie et non comme celle du bon grain ou du blé. Cela montre que l'auteur souligne la réalité de l’ivraie parmi le blé comme une allégorie de l'existence du bien et du mal dans le royaume. Deuxièmement, l’ivraie est le fait du mauvais et enfin, le destin de l’ivraie est qu’on l’enlève et la consume au feu (v.40).
Anges (ἄγγελος)
….les moissonneurs, ce sont les anges (v. 39)
………..le Fils de l'homme enverra ses anges (v.41)
Le rôle et la désignation des anges sont clairement mentionnés dans l'explication : ce sont les moissonneurs et leur rôle est de déraciner et de recueillir l’ivraie. On souligne leur rôle quand le rôle des serviteurs, lui, n'est pas mentionné.
Ramasser (συλλέγω)
…ses anges, qui ramasseront de son Royaume tous les scandales… (v.41)
Le mot est utilisé pour indiquer le fait d’enlever du royaume ce qui est mauvais.

2.       Cadre

Géographique
Jésus donne l'explication de la parabole à l'intérieur de la maison. Jésus et ses disciples étant seuls, les disciples lui demandent de leur expliquer la parabole. Le cadre, à l'intérieur, et l'absence d’autres personnes montre que l'explication n’est réservée qu’aux disciples.
Temps
Prolepse mixte - Celui qui sème le bon grain, c'est le Fils de l'homme (v. 37)
Analepse - l'ennemi qui l’a semée, c'est le diable (v. 39a)                           
Prolepse externe - De même donc qu'on enlève l'ivraie et qu'on la consume au feu, de même en sera-t-il à la fin du monde : le Fils de l'homme enverra ses anges, qui ramasseront de son Royaume tous les scandales et tous les fauteurs d'iniquité,  et les jetteront dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et les grincements de dents v. 43  Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père. (vv. 40-43a)
Le diable et son action sont présentés dans le passé. Les actions du fils de l'homme (le semis et l'envoi des anges) sont présentés respectivement au présent et au futur. Le royaume du Fils de l'homme est présenté dans le présent et le futur. Le champ est présenté dans les trois dimensions temporelles: passé, présent et futur.

3.       Caractère

Jésus
Jésus a le rôle d'expliquer la parabole à ses disciples. Matthieu présente Jésus ici non seulement comme un narrateur, mais aussi comme un enseignant qui explique.
Disciples
Les disciples qui semblent ne pas comprendre la parabole demandent à Jésus de leur en donner l'explication.
Il est intéressant de noter que Jésus donne les caractères de toutes les images qu'il utilise dans la parabole. Le tableau suivant présente cette caractérisation :

13,24-30
13,37-43
semeur
fils de l'homme
champ
monde
Bon grain
fils du royaume
l'ivraie
fils du malin
l'ennemi
le diable
moisson
jugement
moissonneurs
les anges

 4.       Point de vue

L'explication de la parabole ignore l'importance de l'action des serviteurs soulignés dans la parabole et l'importance donnée à la place de la description de ce qui se passera à la fin des temps. Le centre de la structure narrative de la parabole est identifié comme la patience et la tolérance. L'explication met l'accent sur l'élément apocalyptique (vv. 41–43).

5.      Intrigue

1- situation initiale: v. 37 - 40
2- action transformatrice: v. 41 - 42a
3- Situation finale: v. 42b – 43
L'interprétation de la parabole a deux parties. La première partie (37-39) est centrée sur l’événement des semailles et la seconde partie (40-43) sur la séparation eschatologique. Dans la situation initiale (37-40), Jésus interprète sept détails de la parabole (le maître - le fils de l'homme, le champ - le monde, la bonne semence - les enfants du royaume, l'ivraie - les enfants du mal, l'ennemi- le diable, la récolte - à la fin des temps, les moissonneurs-les anges) La tension atteint son sommet dans l’action transformatrice où est raconté le jugement eschatologique des méchants. L'interprétation se termine par la description de la situation future des méchants et des justes.

6.       Lecteur

L'explication aide le lecteur implicite à comprendre l'interprétation allégorique de la parabole de l'ivraie. Elle crée une relation entre le narrateur implicite et le lecteur implicite. Il est évident que les symboles et les indices donnés par le narrateur implicite (Jésus) dans la parabole est claire dans l'explication. Le narrateur implicite transmet sa théologie du royaume par l'explication. Il invite la communauté de Matthieu à attendre le jugement final.

Conclusion

v  Il existe une tension entre les deux récits. La parabole  donne de l'importance au dialogue entre les serviteurs et le maître. Mais, l'explication met l'accent sur le jugement dernier et le tri du mauvais du bon.
v  L'interprétation de la parabole qui prétend révéler le vrai sens de la parabole (13, 40) omet l'appel à la patience et la tolérance qui caractérise la parabole : «Laissez l'un et l'autre croître ensemble jusqu'à la moisson» (13, 30).
v  L'explication met l'accent sur le destin de l'ivraie : «Explique-nous la parabole de l'ivraie dans le champ » v 36b.   Elle change le point de vue de la parabole, connue comme la parabole de l'ivraie parmi le blé.
v  D'un point de vue narratif, le point culminant de la parabole se produit dans l'interaction entre les serviteurs et leur maître. Le maître rejette la proposition des serviteurs  (une récolte anticipée de l’ivraie). Il invite à la patience et à la tolérance nécessaires et utiles pour résoudre le problème.
v  «Laissez l'un et l'autre croître ensemble jusqu'à la moisson» (13, 30) fait référence à l'heure actuelle, tout en maintenant la validité dans le futur. Bien que, dans l'avenir les serviteurs n'auront pas de rôle, ils sont priés d'être «patients» et de « laisser …croître ».
v  La parabole et son explication ont en commun deux types de semeurs, deux sortes de graines et un ennemi. L’une et l’autre montrent la réalité dualiste de l'existence du bien et du mal.
v  Dans l'explication, cependant, nous voyons un changement de perspective : le semeur, maintenant identifié comme le Fils de l'homme (v. 37), est le «σπείρων » (celui qui sème) tandis que l'ennemi (le diable maintenant) est celui qui «σπείρας»  (v. 39). L'action de l'ennemi située dans le passé, est maintenant révélée.
v  L'accent de la parabole sur l'action des serviteurs (tolérance et patience) est remplacé dans l'explication par une longue description de ce qui se passera à la fin des temps. La description « apocalyptique » (v. 41-43), se concentre uniquement sur les méchants. Cette phase crée un décalage dans l'intérêt et l'accent.
v  Le maître garde une attitude calme et équilibrée en ce qui concerne le destin de l’ivraie et du blé (v. 30). Dans l'explication, au contraire, on sent une sorte de férocité excessive envers l'ivraie.
v  L'explication (v. 41- 43a) introduit un élément apocalyptique totalement absent dans la parabole. Dans cette «petite apocalypse," les méchants se trouvent dans le royaume du Fils de l'homme: le royaume du Fils de l'homme est donc décrit comme un corpus mixtum.

J'ai compris de l'analyse narrative, qu'il y a une grande différence entre la parabole et son explication. La parabole met l'accent sur la réalité du bon et du mauvais dans le royaume actuel du Fils de l'homme et l'explication sur le jugement eschatologique dans l'avenir. Cette compréhension a orienté mon mémoire vers les dimensions ecclésiale et eschatologique de la parabole et de son explication. Je vois dans le royaume actuel, la réalité mixte de l'Église et le royaume futur à la fin du temps.



Partie - 2
La dimension ecclésiale et eschatologique de la parabole de l'ivraie et de son « explication[1] »


La parabole souligne deux réalités du royaume des cieux: la réalité présente et la réalité future. Selon la parabole et son explication, la réalité actuelle du royaume se manifeste dans la communauté des disciples de Jésus. Cette communauté est le territoire qui correspond au royaume. Interprétée comme l'Eglise[2], la réalité actuelle du royaume est un mélange des sujets du Royaume et des sujets du Mauvais. Mais cette réalité du royaume sera remplacée par un royaume futur où il n'y aura pas de place pour les sujets du Mauvais. Ils seront recueillis et jetés dans la fournaise ardente. Dans ce royaume, les justes resplendiront comme le soleil.
Je vais essayer de comprendre et d’interpréter la parabole et l’explication de cette réalité du royaume. Dans cette partie, je vais d’abord développer la dimension ecclésiale de la parabole à la lumière de la communauté mixte présente. Deuxièmement, je vais décrire la dimension «eschatologique» de cette parabole.

La dimension ecclésiale de la parabole

Introduction
La parabole de l'ivraie au milieu du blé est idéale pour comprendre la théologie du royaume des cieux chez Matthieu. Matthieu y révèle l’état présent et futur du royaume. Il montre la réalité actuelle du royaume au milieu du bien et du mal. Il expose également l'état futur du royaume, où le mal sera éliminé par les anges au jugement dernier alors que les justes resplendiront dans le royaume comme le soleil. La réalité actuelle mêlant sujets du Royaume et sujets du Mauvais ouvre à la dimension ecclésiale de la parabole. Même si on peut analyser cette parabole dans plusieurs dimensions, mon étude s’intéresse à sa dimension ecclésiale.

La communauté de la foi

L'interprétation ecclésiale explique la parabole en termes de communauté de foi[3]. Cette communauté de foi avait du mal à discerner ce qu'il fallait faire avec les membres mauvais. Comme dans la parabole, où l'ivraie est difficile à identifier à partir du blé, la communauté avait du mal à identifier les personnes mauvaises. Avec l’obligation d'attendre le fruit pour identifier l'ivraie et le blé. Pour les disciples, déraciner les mauvaises personnes était le seul moyen. Mais la parabole souligne la réalité de la coexistence du bien et du mal jusqu'à la séparation au jugement dernier et le fait que ce sont les anges qui auront la responsabilité de séparer le bien du mal et pas les membres de la communauté. Elle souligne également la nécessité de coexister et d’être patient avec les membres mauvais jusqu'au jugement dernier.
Le problème des membres indignes est une question importante dans l'évangile de Matthieu. La question des faux prophètes en 7, 21-23 est très semblable aux questions abordées dans la parabole de l'ivraie. Elle partage deux caractéristiques avec celles de la parabole de l'ivraie (13, 24-30, 41). Même s’ils font des miracles et chassent les démons au nom de Jésus, ils ne se distinguent pas des autres chrétiens, sauf qu’ils sont en même temps "méchants" (littéralement : « ceux qui mettent en œuvre l’iniquité » Τοὺς ποιοῦντας τὴν ἀνομίαν 13,41).
Dans le royaume du Fils de l'homme (v.41) ils seront supprimés. Dans ce verset, le Royaume et la communauté des croyants - l’Eglise, sont étroitement associés[4]. La parabole de l'ivraie présente cette image du royaume où le bien et le mal devront vivre ensemble jusqu'au jugement dernier. Les serviteurs qui veulent enlever l'ivraie représentent les bons croyants de cette Eglise voulant éradiquer le mal dans ce royaume actuel. Mais la parabole souligne la nécessité d’être patient jusqu'au dernier moment et d’accepter la réalité du mal.
Cette même question est traitée encore une fois dans l'évangile de Matthieu en 18, 10-35, mais dans une direction différente. Même si la parabole de l'ivraie exhorte la communauté à attendre et à être patiente avec les personnes mauvaises, 18, 15-17 prend une direction opposée- qu'il soit pour toi comme le païen et le publicain. (V.17). Cette contradiction montre que le problème des membres de la communauté indignes est important dans la communauté de Matthieu.

Le problème du bien et du mal dans l'Evangile de Matthieu

Quatre autres paraboles, propres à Matthieu, abordent le problème du bien et du mal dans le royaume des cieux: la parabole du filet (13,47-50), celle du débiteur impitoyable (18,23-35), celle du festin nuptial (22,1-14), et celle des dix vierges (25,1-13)[5]. La parabole du filet (13,47-50) dans le même chapitre, donne une image claire de la communauté de foi où toutes sortes de gens sont rassemblées par la proclamation du royaume des cieux. La parabole souligne, au moment du jugement dernier, qu’ils seront séparés et triés.
Cela montre que le premier évangile se distingue par le souci de l'évangéliste à propos de l'état mixte de l'Eglise à son époque. Il est clair, à partir de sa narration, qu'il y a dans la communauté – du bon et du mauvais, de l’utile et de l’inutile, du sage et de l’insensé, ce qui est problématique[6]. Matthieu est préoccupé par ce contexte ecclésial et il espère, à partir d’une vision eschatologique, que le mal sera éliminé à la fin.

La présentation de la parabole

La façon dont la parabole est présentée dans le chapitre souligne également la dimension ecclésiale de la parabole. L'interprétation vise les disciples et pas les foules. (13, 36). Ceci est souligné par l'interposition de la parabole du grain de moutarde et du levain (13, 31-33), et l'énonciation sur l'utilisation des paraboles (13, 34-35). Par conséquent, l'interprétation est pour la communauté de foi et non pour les foules. Selon Kingsbury, chacune de ces péricopes est indépendante et chacune a sa fonction prévue[7]. Selon lui,  l'explication de la parabole n’est qu’apparente, pas vraiment une explication de la parabole de l'ivraie. Elles étaient destinées à deux publics différents et nous pouvons trouver un changement de point de vue dans l'explication de la parabole. Cela nous invite à découvrir l'intention du Matthieu et l'importance qu'il accordait à la communauté de foi.
Cet argument est également soutenu par le v. 41  «le Fils de l'homme enverra ses anges, qui ramasseront de son Royaume tous les scandales et tous les fauteurs d'iniquité». C’est la responsabilité des anges, du milieu du royaume- l'Eglise, de recueillir les τοὺς ποιοῦντας τὴν ἀνομίαν. Cela signifie que Matthieu donne spécifiquement de l’importance au royaume et qu'il voulait enlever de ce royaume les scandales et les fauteurs d'iniquité. Il est clair que pour Matthieu, ceux qui font le mal hors du royaume ou de la communauté ne sont pas sa préoccupation. Cela confirme la dimension ecclésiale de la parabole qui est destinée à la communauté de foi.
Même si la dimension ecclésiale de la parabole peut être étayée par des preuves suffisantes, certaines phrases affaiblissent cet argument. La plus importante est l'expression du verset 38, «le champ, c'est le monde ». Beaucoup d’exégètes ont essayé de l'expliquer. Selon Charles W. F. Smith,  l'expression « le champ, c'est le monde », suggère le problème de l'Église dans le monde, mais qui devient le monde dans l'Église[8]. Le champ, c'est le monde où les bonnes graines sont semées, étant tenues de produire le bon grain. Malheureusement, l'intervention de l'ennemi fait problème dans le champ, qui est l'Eglise. Il interprète également cette allégorie de manière temporelle plutôt que géographique[9]. Selon lui, nous sommes au moment où l'Évangile commence à produire des fruits. Par conséquent, c’est dans le monde temporel que l'Eglise trouve la présence du mal.
Une autre façon de comprendre la dimension ecclésiale de la parabole est d'identifier les «cultures» avec la communauté[10]. Dans un domaine, on peut trouver différents types de cultures, de tailles et formes différentes, avec différentes capacités de production. Ici, nous voyons la différence dans les cultures, pas dans le champ. Cette identification des cultures avec la communauté permet la dimension ecclésiale de la parabole. Il rejette l'idée que le monde soit l'Eglise, mais accepte l'existence de l'Eglise dans le monde.
Comme la différence entre les cultures, la parabole montre la différence dans la communauté des disciples. Parmi ces disciples, certains sont des sujets du Royaume et d'autres sont des sujets du Mauvais. On peut difficilement les identifier au début, mais seulement à partir de leurs fruits. Selon cette interprétation, il est donc clair que le verset 38 n'est pas un problème pour la dimension ecclésiale de la parabole.
Une autre menace importante contre l'interprétation ecclésiale de la parabole concerne la discipline de ​​la communauté contre les membres mauvais en Mt 18, 15-17. La parabole prône la tolérance jusqu'au jugement dernier et souligne le rôle de l'intervention divine dans la séparation du mal et du bien. Mais, Mt 18, 15-17 contredit la parabole, exigeant que la communauté traite les membres mauvais comme les païens et les publicains. Même si cela semble contradictoire, on a là deux points de vue du même problème[11]. Dans les deux contextes, le problème est les membres mauvais, avec deux réponses différentes.
Mais il est intéressant de noter que Mt 18, 15-17 demande qu’on considère les membres mauvais avec l’espoir d’une dernière chance. Avant de parler de la discipline de la communauté, Matthieu souligne l'importance de la tolérance de la part des autorités. La discipline communautaire doit intervenir après avoir donné aux membres de nombreuses occasions de se réconcilier. Il est intéressant de noter que le chapitre 18 décrit l'image d'un berger (18, 10-14) qui laisse ses quatre-vingt-dix-neuf brebis à la recherche de l’« égarée ». Et celle du débiteur impitoyable (18, 21-35) enseigne l'importance du pardon et met en garde ceux qui ne pardonnent pas à leurs frères.
Le chapitre 18 souligne le pardon de la communauté pour les membres mauvais et l'importance de ramener les «égarées» à la communauté. Ainsi, nous pouvons conclure que le chapitre 18 prend en charge la dimension ecclésiale de la parabole de l'ivraie.

L'interprétation ecclésiale et le royaume des cieux

L'interprétation ecclésiale de la parabole de l'ivraie a beaucoup contribué à comprendre la théologie du royaume des cieux chez Matthieu. Il dépeint la réalité actuelle de l'Eglise dans le milieu du bien et du mal. La formule d'introduction de la parabole de l'ivraie (Ὡμοιώθη ἡ βασιλεία τῶν οὐρανῶν ἀνθρώπῳ σπείραντι) décrit la réalité du royaume dans le présent[12]. Par conséquent, la parabole manifeste l'existence actuelle du royaume des cieux.
La réalité actuelle de l'existence du royaume justifie la dimension ecclésiale de la parabole de l'ivraie. En d'autres termes, le royaume des cieux est manifeste dans le présent de la communauté des disciples de Jésus. C'est cette communauté qui est le territoire qui correspond au royaume[13].
La parabole rapporte que l'existence actuelle de ce royaume est un mélange de bien et de mal. Cette réalité de la coexistence du bien et du mal ne sera pas séparée avant le jugement dernier, où le mal sera recueilli et brûlé. La parabole mentionne également un avenir du royaume où les justes resplendiront comme le soleil dans le ciel. Mais jusque-là la communauté sera composée du bien et du mal.
Ainsi, la parabole de l'ivraie a contribué à comprendre la réalité future du royaume déjà manifesté dans la communauté actuelle des disciples. La parabole souligne également l'intervention divine dans la séparation du mal de la communauté, décourageant toute intervention humaine. Même si la discussion autour de la séparation du mal de la communauté est active dans l'évangile de Matthieu, l’importance est donnée au pardon, à la tolérance et à la patience.

B.  La dimension eschatologique de la parabole et son explication 

Introduction

La parabole et son explication exposent non seulement la question ecclésiologique de la présence du mal au sein de la communauté, mais aussi la venue de temps eschatologiques d'un royaume futur où les justes resplendiront comme le soleil. L'objectif de cette partie est de comprendre les dimensions eschatologiques de la parabole et de son explication.

La vision eschatologique dans l'évangile de Matthieu

Le Nouveau Testament présente le futur comme l'avenir de Dieu. Il est clair que dans le premier évangile, Matthieu donne beaucoup d'importance à l'eschatologie, dans le sens où il évoque toujours l’avenir, mettant en garde ceux qui ne produisent pas de fruits dans le temps. Il présente sa vision eschatologique sous la forme d’une menace et dans l'espoir d’un jugement[14]. Matthieu n'a pas limité son discours eschatologique à la fin de ces chapitres (25-26), mais l’a introduit au début de son Évangile avec la prédication de Jean-Baptiste (3,7-12). Le terme utilisé (la fin du monde) (συντελείᾳ τοῦ αἰῶνος) (13,39. 40. 49; 24,3; 28,20) coïncide avec le destin ultime de l'homme, qui est le jugement eschatologique. En 16,27, Matthieu décrit la venue du «fils de l'homme » qui  rétribuera chacun selon sa conduite. Ce faisant, Matthieu adhère à une croyance communément admise dans le monde juif, au tournant de l’ère chrétienne, et partagée par tous les auteurs du Nouveau Testament[15].

Les différentes images eschatologiques dans l'Evangile de Matthieu

Nous pouvons voir différentes images de la fin des temps dans l'évangile de Matthieu. En Mt 25, 31-46 le fils de l'homme sépare les élus des damnés comme le berger sépare les brebis des boucs. En 7, 22 le Christ répond aux faux prophètes, qui prétendent faire de nombreux miracles en son nom, « Jamais je ne vous ai connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité ».
Une même image de la fin des temps est présente dans les paraboles du serviteur impitoyable, des talents et du festin nuptial. Celle du serviteur impitoyable montre la punition eschatologique de ce serviteur – « son maître le livra aux tortionnaires, jusqu'à ce qu'il eût remboursé tout son dû » (18, 34). La parabole se termine par l'action du Père à l'avenir (ποιήσει) contre ceux qui ne pardonnent pas à leurs frères du fond du cœur (v. 35).  La parabole du festin nuptial montre l'image de la personne entrant dans la salle du festin sans habit de noce. Celle des talents, présente trois comparutions successives[16] (25, 20-30).
L'image du jugement apparaît dans l’affirmation de Jésus en 10,32-33; « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est dans les cieux ; mais celui qui m'aura renié devant les hommes, à mon tour je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux ». ἔμπροσθεν est le terme technique de la comparution devant un juge[17]. En 11,22-24 et 12,41 Jésus dit qu’au jour du jugement, la situation du peuple d’Israël sera plus dure que ne le fut celle des habitants des villes païennes. Enfin, en 19, 20 Jésus montre la restauration eschatologique du peuple élu, quand le Fils de l'homme sera assis sur un trône de gloire, et ceux qui l’ont suivi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël. Mais la description du jugement eschatologique dans Matthieu ne montre pas seulement la menace de la condamnation mais aussi la promesse du salut[18].

Le jugement eschatologique dans la parabole

Le jugement eschatologique est présenté à travers l'image de l’ivraie recueillie et brûlée. Une déclaration similaire est faite par Jean-Baptiste en Mt 3, 10 concernant les arbres n’ayant pas produit de bons fruits. Cette action aura lieu à la fin du monde (v.40). Dans la parabole, la fin du monde est présentée comme le temps de la moisson, quand les moissonneurs trieront l’ivraie du blé. La moisson symbolise le jour du jugement. Ce sera la fin de ce temps présent, où la communauté des disciples existait comme un corpus mixtum.
Le royaume des cieux (présent) annoncé par Jésus, malgré son caractère eschatologique, n'apporte pas avec lui le jugement définitif de la fin des temps[19]. Ce temps du jugement eschatologique dans l'avenir est raconté dans l'explication de la parabole de l'ivraie. (v. 41-43). Jéremias se réfère à ces versets comme à une « petite apocalypse »[20].

La moisson

La moisson est utilisée comme une métaphore du jugement eschatologique. Cela apparaît d'abord en 3,12 dans le message de Jean Baptiste. Dans la parabole, le maître de la maison demande à ses serviteurs d'attendre la moisson pour éliminer les mauvaises herbes. La parabole utilise l'image de la récolte avec la collecte et le tri de l’ivraie et du blé.
L'explication de la parabole utilise des termes eschatologiques comme « le Fils de l'homme » « les anges » et « la fin de l'ère ». C'est le Fils de l'homme (ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου ) qui enverra ses anges (τοὺς ἀγγέλους αὐτοῦ) pour recueillir  les méchants et les punir.

Le Fils de l'homme

Le titre « Le Fils de l’homme », apparaît deux fois dans l'explication de la parabole (v. 37 et v 41) avec des sens différents. D'abord, comme celui qui sème la bonne semence, puis comme celui qui envoie les anges pour le jugement eschatologique. (v.41). Au verset 41, le Fils de l'homme est présenté comme le Juge daniélique, comme dans d'autres parties de l'Évangile (10,23; 19,28; 24, 3,30; 25,31). Mais en 13,37 le titre est utilisé pour expliquer l'activité terrestre de Jésus. Matthieu utilise ce titre pour expliquer l'autorité cosmique du fils de l'homme à la fin du temps ou de l'histoire (13,40 et 24,3). La double mention de ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπο, ici, rend compte à la fois de cette identité et de la différenciation des fonctions entre le Juge et le Christ élevé[21].

Les anges

Matthieu donne un rôle spécifique aux anges dans son jugement eschatologique. Dans la plupart de ses récits eschatologiques, les anges apparaissent (16, 17). Dans la parabole, il utilise les «moissonneurs» pour trier et recueillir l’ivraie du blé. Dans l'explication, il identifie les «moissonneurs» et les anges. Dans le jugement eschatologique, ce sont les anges qui séparent le mauvais du bon. Il s'agit d'une intervention divine, sous la direction du Fils de l'homme. Ils sont présentés comme l'acte d’une armée céleste impartiale.

Le mal

Matthieu utilise l'image du fils de l'homme qui envoie ses anges pour le jugement final (16,27; 24,30-31; 25,31-33). Dans l'explication de la parabole, les anges rassemblent πάντα τὰ σκάνδαλα (tous les scandales) et  τοὺς ποιοῦντας τὴν ἀνομίαν (tous les fauteurs d'iniquité). Matthieu donne beaucoup d'importance au mot «scandales» dans son évangile[22]. En 18, 6-7 il parle fortement contre ceux qui sont scandaleux pour les petits. Pour lui, c'est un grave péché.
Matthieu considère que l'essence du mal est ἀνομία (l’iniquité)[23]. Il lui accorde une importance particulière dans de nombreuses parties de son évangile (7,23; 23,28; 24,12). Les impies seront rassemblés et séparés de son royaume- l'Eglise visible. Matthieu exprime leur sort en termes apocalyptiques - ils seront jetés dans la fournaise de feu. La fournaise de feu est réservée aux méchants. Quand les méchants seront jugés, il y aura des pleurs (κλαυθμὸς) et des grincements de dents (βρυγμὸς τῶν ὀδόντων) dans la fournaise de feu (Matthieu 13, 42)[24]. L’image de la fournaise de feu est tirée de Daniel 3,6, 11, 15, 20 et Malachie 4, 1-2. Cette même déclaration est faite plus tard en Matthieu 13, 50.

La loi et le jugement eschatologique

La caractéristique décisive du croyant est l’obéissance à la volonté du Dieu - expliquée dans la loi qui est interprétée par Jésus dans les chapitres 5-7. Ceux qui entrent dans le royaume sont ceux qui ont fait la volonté du Père. L’obéissance active à la volonté divine exprimée dans la Loi constitue ainsi à la fois la pointe de l’enseignement du Christ et le critère du jugement eschatologique du fils de l’homme[25].

Les justes

Si les méchants doivent être punis, les justes doivent être récompensés. Matthieu mentionne spécifiquement le privilège des «justes» (δίκαιοι). Ils resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père.  L’expression « resplendiront comme le soleil »  est très proche de la transfiguration de Jésus en 17,2 qui raconte l'expérience de la gloire de Dieu. Cette promesse est la même qu’en Daniel 12,3 qui décrit la bénédiction eschatologique des justes. Ils seront aussi bénis dans le Royaume de leur Père (βασιλείᾳ τοῦ πατρὸ). C'est le seul endroit dans Matthieu où le royaume est lié à Dieu le Père. En 12,50 cependant, la relation d'une personne avec le Christ est liée à une relation avec le Père. Le discours se termine par l’exhortation «Entende, qui a des oreilles» visant à la fois les méchants et les justes.
L'interprétation donne une importance particulière au jugement eschatologique, langage proche des prophéties de Daniel dans l'Ancien Testament. Ce langage est symbolique, suscitant chez le lecteur la peur de la fournaise de feu et laissant éclater la gloire de la lumière éclatante du soleil qui brille.


 Conclusion

Comme je l’ai mentionné dans l'introduction, l'objectif de ce mémoire a été de comprendre le royaume des cieux selon Matthieu. La parabole de l'ivraie parmi le blé et son interprétation m'ont aidé à comprendre cette vision du royaume propre à Matthieu. Cette étude m'a aidé aussi à comprendre sa théologie du royaume des cieux. À travers le discours de Jésus, Matthieu décrit la nature du royaume des cieux. Telle est donc ci-après la synthèse de ma compréhension du royaume chez Matthieu.
Quel est le royaume des cieux?
Une réalité actuelle
Pour Matthieu, le royaume des cieux n'est pas seulement une réalité future propre au temps eschatologique. Il est déjà là et il a commencé avec la venue de Jésus (Mt 3, 2, 4, 17, 13, 24). La parabole associe spécifiquement le royaume de Dieu au terrain où le semeur a déjà semé la bonne semence. Par conséquent, Matthieu croit que le royaume des cieux est une réalité présente et qu’il est déjà là.
Une réalité mixte
Dans le royaume des cieux (présent), Matthieu décrit la coexistence du bon et du mauvais. Il est difficile d'accepter que le mal existe dans le royaume des cieux, déjà annoncé par Jésus. Mais Matthieu attribue cette existence du mal à l'action du diable, l'ennemi éternel de Dieu. Ici, il adopte une approche dualiste selon laquelle le Royaume est une réalité mêlée de bien et de mal. Mais il ne s’arrête pas à cette réalité présente, ayant l'espoir qu'il y aura un jugement eschatologique à la fin des temps et qu’un royaume futur sera établi. Dans ce royaume, les justes resplendiront comme le soleil et le mal sera supprimé.
La patience et la tolérance
L'un des thèmes centraux présent dans le dialogue entre le maître et les serviteurs est celui de l’attente passive jusqu'à la récolte. Matthieu souligne la patience et la tolérance propres à cette réalité actuelle du royaume où le bien et le mal coexistent ensemble. L'attente passive de la communauté doit durer jusqu'au jugement eschatologique.
L’espoir en l'avenir
Matthieu n'arrête pas son discours sur le royaume avec la réalité actuelle de la communauté mais annonce un royaume futur à la fin des temps, où méchants et justes seront jugés. Il raconte la gloire des justes et la misère des méchants dans la fournaise de feu.
Le contexte actuel de l'Église en ce monde rappelle la situation de la parabole. Aujourd'hui, l'Eglise est composée d'un mélange de bon et de mauvais. Parfois le mal semble dominer le bon et le monde juge l'Église comme corrompue et mauvaise. Mais il est vrai que c'est Jésus qui a fondé cette Eglise et qu’elle est son royaume « présent ». Même si la parabole laisse espérer que ce royaume présent sera remplacé par un royaume futur.
Où est ce royaume ?
L'une des questions importantes étudiées lors de ce travail est : où est ce royaume ? Est-ce l'Eglise ou l'ensemble de l'humanité. En analysant la dimension ecclésiale de la parabole et son explication dans le contexte de Matthieu, j’ai conclu que la réalité actuelle du royaume est l’Église. En d'autres termes, le royaume des cieux se manifeste au présent dans la communauté des disciples de Jésus qui est l’Église. C'est cette communauté qui est le domaine qui correspond au royaume. Le royaume actuel est constitué à la fois des fils du royaume et des fils du malin qui ne seront pas séparés avant le jugement eschatologique, qui conduira à la création du royaume futur, où les justes resplendiront comme le soleil. Mais jusque-là, la communauté de la foi - l'Eglise, sera composée de deux types d’individus.
La vision eschatologique
Matthieu définit clairement sa vision eschatologique du « royaume futur », en particulier dans son interprétation de la parabole. Il utilise l'image de la moisson pour décrire la fin des temps, où le Fils de l'homme enverra ses anges pour rassembler les méchants et punir « tous les scandales et tous les fauteurs d'iniquité ». Pour Matthieu, la caractéristique décisive du croyant est l’obéissance à la volonté divine exprimée dans la Loi. Le Jésus de Matthieu en 12, 50 parle de « quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux ».
Il décrit également la gloire des justes. Il associe la gloire des justes à la transfiguration de Jésus. Ils resplendiront comme le soleil dans le royaume. Ils seront bénis dans le royaume de son Père.
L'exhortation finale «Entende, qui a des oreilles !», souligne le fait que même si le royaume actuel est composé de bien et de mal, l'exhortation s’applique à tout le monde. Elle interroge la sécurité sotériologique de ceux qui prétendent être justes et garantit l'espoir à ceux qui sont prêts à changer.
Pour Matthieu, et je conclus par cela, la question eschatologique de la présence de mauvais au sein de la communauté est la manifestation logique d'un conflit cosmique qui attend sa résolution dans les temps eschatologiques. L’évangéliste a l'espoir que cet avertissement eschatologique va aider les méchants d’aujourd’hui à suivre la volonté de Dieu et à sortir de l'illusion d’une sécurité sotériologique.

BIBLIOGRAPHIE


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[1] En fait ce n'est pas une explication de la parabole que Jésus donne en Mt 13, 36-43, mais une reprise ou une interprétation de la parabole à la demande des disciples.
[2] L’Église à l’époque de Matthieu- la communauté de foi.
[3] Fondée sur les textes des C.H. Dodd , The parables of the Kingdom , London, 1936, p. 137; Joachim Jeremias,  Les paraboles de Jésus, Lyon, 1964, p 82 ; Ulrich Luz, Matthew in History, Minneapolis, 1994, p, 78-79 ;  Daniel Marguerat, Le jugement dans l'Evangile de Matthieu, Genève, 1995, p, 428-30.
[4] Robert K. McIver, “The Parables of the Weeds among the Wheat (Matt 13:24-30, 36-43) and the Relationship Between the Kingom of God and the Church as Portrayed in the Gospel of Matthew,” JBL (1995), p 649.
[5] E. Schweizer, The Good News According to Matthew, London, 1979, p, 302-03.
[6] C. W. F. Smith, “The Mixed State of the Church in Matthew’s Gospel”, JBL 82(1963), p, 153.
[7] J. D. Kingsbury, The parables of Jesus in Matthew 13 : a study in redaction-criticism, London, 1969, p, 16.
[8] C. W. F. Smith, p, 153.
[9] Ibid.
[10] R. K. McIver, p.652.
[11] Ibid., 652
[12] L’aoriste est utilisé pour introduire la parabole de l'ivraie. Selon Jéremias, les deux temps- présent et aoriste- sont synonymes.
[13] Ibid., 658
[14] Daniel Marguerat, Le jugement dans l'Evangile de Matthieu, Genève, Labour et Fides, 1995, p, 13
[15] Ibid., 14
[16] Ibid., 19
[17] Ibid.
[18] Ibid., 20
[19] W.D. Davies and Dale C. Allison Jr, A critical and exegetical commentary on the Gospel according to Saint Matthew. 3, Commentary on Matthew XIX-XXVIII, Edinburgh, 1997, p. 393.
[20] Joachim Jeremias,  Les paraboles de Jésus, p, 40-43.
[21] Daniel Marguerat, p, 441
[22] W.D. Davies and Dale C. Allison Jr, p, 394
[23] Ibid.
[24] L’expression « pleurs et grincements de dents », se retrouve six fois en Matthieu (8, 12, 13, 42, 50, 22, 13, 24, 51; 25, 30) et une fois en Luc (13, 28) en référence à l'état terrible de souffrance lié à la séparation des justes et du royaume du Père.
[25] Daniel Marguerat, p,215









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